Bibliographie
Côme Fabre (dir.), Charles Gleyre (1806-1874). Le romantique repenti, cat. exp. Paris, Musée d’Orsay, éditions Hazan, 2016, p. 137-138, n° 47.
Catherine Lepdor (dir.), Charles Gleyre. Le génie de l’invention, cat. exp. Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Milan, 5 Continents Editions, 2006, n° 83.
William Hauptman, Charles Gleyre 1806-1874. I Life and Works. II Catalogue raisonné, Princeton, N.J., Princeton University Press et Zurich, Institut suisse pour l’étude de l’art, 1996, n° 402.
Au printemps 1838, Gleyre est de retour à Paris après un long voyage en Orient. Il faudra attendre 1843 pour qu’il digère cette expérience et en formule la synthèse dans Le Soir ou Les Illusions perdues (Paris, musée du Louvre), une toile monumentale qui, exposée au Salon, marque son retour sur le devant de la scène artistique. Dans l’intervalle, l’artiste qui a quitté la France depuis dix ans et n’y a aucune notoriété tente d’exploiter l’engouement de ses contemporains pour les scènes orientales. Il réalise quelques toiles de petits formats et des œuvres de commande, sans tirer toutefois du capital exceptionnel de son périple le même profit qu’un Eugène Delacroix dont le séjour au Maroc de 1832 constituera une source d’inspiration inépuisable.
Avec ces Cavaliers turcs et arabe, Gleyre conçoit une œuvre de pure imagination. La scène montre un cavalier arabe pousuivi par deux Turcs. Alors que ces derniers réussissent à arrêter leurs montures au bord d’un précipice, la course de leur ennemi se termine au fond du ravin. Accents mélodramatiques, cavalcade, colorisme éclatant, touche rapide et fluide sont autant d’ingrédients qui rattachent ce tableau au romantisme. Cependant, Gleyre montre ici que, du romantisme, il a retenu moins l’incitation à capter le spectacle mouvant de la vie moderne que l’injonction à la méditation et au rêve éveillé. Jeune homme déjà, il se décrivait comme une statue de porcelaine, immobile quelle que puisse être la gravité des événements. Ici c’est la représentation elle-même qui se fige, comme assujettie au célèbre vers d’Alphonse de Lamartine: « Ô temps ! suspends ton vol ». Les cavaliers sont stoppés dans leur élan, les tissus – turban du Turc, burnou de l’Arabe – montent dans le ciel comme des colonnes de pierre. Surtout, l’ombre du cavalier en chute libre devient l’élément décisif de la composition, une forme étrange et fascinante qui retient pour l’éternité une image indécise, imprimée une fraction de seconde sur une paroi rocheuse.