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La collectionBibliographie
Catherine Lepdor, « L’Eau mystérieuse. Ernest Biéler à la croisée des chemins », in Jörg Zutter et Catherine Lepdor (dir.), Ernest Biéler (1863-1948). Du réalisme à l’art nouveau, cat. exp. Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Soleure, Kunstmuseum, Milan, Skira, 1999.
Guy Ducrey, « Narcisse au féminin ou la caresse périlleuse », in Elio Mosele (dir.), Narciso allo specchio: dal mito al complesso. Atti del Seminario di studi (Malcesine, 13-15 mai 1993), Fasano, Schena Editore, 1995, p. 207-223.
De 1908 à 1911, Biéler travaille sans relâche à L’Eau mystérieuse. Ce tableau est conçu d’emblée comme un manifeste d’Art nouveau destiné à établir à Paris la suprématie d’un style, le graphisme, et d’une technique, la détrempe à l’œuf.
De dimensions monumentales, l’œuvre prolonge la série des panneaux à thématiques symbolistes inaugurée par l’artiste avec Les Feuilles mortes et Les Sources (respectivement 1899 et 1900, Berne, Kunstmuseum). Elle est peinte sur des feuilles de papier marouflées sur toile et enchâssée dans un large cadre en bois fabriqué selon les indications du peintre. Son format étroit et long renvoie à la tradition italienne des cassone, remis à la mode par le préraphaélite anglais Edward Burne-Jones. Le coloris unifié – une harmonie en jaune, brun et rouge – tend au monochrome. À la note tenue du groupe des treize femmes qui se déploient en éventail au premier plan répond le staccato des arbres en arrière-fond. La vue en forte plongée accentue l’impression de rabattement des éléments sur un seul plan. Le bassin occupe presque la moitié de la surface peinte.
La scène se déroule en automne dans un jardin à la française. Les jeunes femmes se mirent dans une eau sombre, sur laquelle flottent des feuilles de nénuphars. Leurs costumes somptueux retiennent des éléments historicisants et orientalisants, mais empruntent aussi à la mode contemporaine d’un Paul Poiret. Agenouillées et figées dans des poses théâtrales, les princesses sont dans la fascination mélancolique de leur propre reflet, où se mêle l’inquiétude du vieillissement et la prise de conscience des bornes étroites de leurs existences. Elles ont renoncé aux richesses matérielles, à la nature et à la culture, symbolisées par trois femmes se détournant ostensiblement d’un collier, d’un œillet et d’un livre. Le thème, qui réactive le mythe ovidien de Narcisse, s’inscrit dans le goût du merveilleux et de la féminisation des héros, en vogue au tournant du siècle dans les milieux symbolistes et décadents.