Albert Anker
La reine Berthe et les fileuses, 1888

Une femme et quatre fillettes sont occupées à l’apprentissage du filage à la main, activité que souligne, au centre de la composition, une diagonale conduisant d’un panier rempli de fibres cardées jusqu’au sommet d’une quenouille. Les cinq figures, frise de corps coupés à mi-jambe, se détachent sur un écran de crépi blanc cadré par un appareil de pierre jaune: pilastre, soubassement et bord d’une fenêtre fleurie d’œillets roses. Statique, le groupe semble figé comme par l’éclair d’un instantané. L’expressivité des attitudes soutient la gestuelle démonstrative des mains. La femme adulte enlace une enfant pour l’aider à guider son fuseau. Une fillette imite le geste de sa camarade. Une troisième élève maîtrise déjà l’enroulage du fil. Enfin, tout à droite, à l’écart du triangle dans lequel s’inscrivent l’enseignante et les trois novices appliquées, une adolescente à la mine butée esquisse un geste de repli sur soi.

Éloge de la pédagogie « naturelle » chère à Johann Heinrich Pestalozzi, de la transmission de l’expérience des aînés aux plus petits dans le respect de chaque personnalité, ce tableau prend place dans le corpus des nombreuses représentations de fileuses, brodeuses et tricoteuses d’Anker. Malgré son format ambitieux, ce n’est pas un épisode historique de la vie de Berthe, reine de Bourgogne au Xe siècle, que l’artiste représente ici, mais une scène de genre inspirée par sa popularité en Suisse romande et par l’adage nostalgique: « du temps où la reine Berthe filait… ».

Plaidoyer antimoderne, glorification de l’artisanat à l’heure où la Révolution industrielle a fait disparaître le filage au profit des filatures et le travail à domicile au profit de l’aliénation en usine, l’œuvre suscita un enthousiasme dont témoigne son acquisition pour le Musée grâce à une souscription publique.