Ferdinand Hodler
Le lac Léman vu de Chexbres, 1904

Le voyageur qui arrive de Suisse allemande à Lausanne par le train découvre brusquement le spectacle époustouflant offert depuis les hauteurs de Chexbres par l’apparition du lac Léman et des Alpes savoyardes. Effectuant de fréquents allers et retours entre sa Berne natale et Genève où il s’est établi en 1872, Hodler – pour qui l’émotion est déterminante dans le choix d’un motif – est durablement marqué par cette vue imprenable qu’il représente pour la première fois en 1895 (Le Léman vu de Chexbres, le soir, Zurich, Kunsthaus).

Près de dix ans plus tard, rentré de Vienne où son exposition à la Sécession de 1904 a assis sa réputation sur le plan européen, l’artiste revient à Chexbres. Il s’installe à la fin du mois d’avril à l’hôtel Bellevue pour une quinzaine de jours. Là, il entame une nouvelle série de paysages inaugurée par ce Lac Léman vu de Chexbres. Tous reprennent le même motif : la vue plongeante sur les vignobles en terrasses de Lavaux, la découpe caractéristique du rivage entre les hauteurs de Puidoux à gauche et le village de Cully en bas à droite, la chaîne du Jura au loin et le ciel strié de nuages.

Ici, le point de vue est élevé, le format de la toile allongé, le coloris virulent, et le traitement des formes synthétique et ornemental. La grande masse bleue du lac – qui plaque l’accord principal – est contenue dans la ligne de contour d’une large ellipse, clairement dessinée. Dans la bande horizontale supérieure, une mélodie s’esquisse avec le staccato des nuages qui se reflètent dans l’eau. Au caractère fugitif de la peinture impressionniste, Hodler substitue une organisation rythmique susceptible de révéler celle, atemporelle, de la nature.

En 1894, le Musée avait été la première institution publique à acquérir un paysage de Hodler (Au pied du Salève, 1888). En 1904, il fait entrer dans sa collection ce Lac Léman vu de Chexbres l’année même de son exécution.