Bibliographie
Jörg Zutter (dir.), René Auberjonois, cat. exp. Lausanne, Musée cantonal des Beaux-Arts, Genève, Skira, 1994.
Hugo Wagner, René Auberjonois. L’œuvre peint – Das gemalte Werk, Catalogue des huiles, pastels et peintures sous verre, Zurich, Institut suisse pour l’étude de l’art, Denges-Lausanne, Éditions du Verseau, 1987, n° 819 et p. 141-142.
Les dernières années de sa vie, Auberjonois jouit d’une reconnaissance internationale à la Biennale de Venise (1948) et à la documenta de Cassel (1955). Son attachement obstiné à la figuration et son formalisme strict situent cependant ce solitaire parmi les figures tutélaires du post-cubisme en Suisse plus que parmi les modèles de la nouvelle génération. Toujours aussi intransigeant, l’artiste a encore réduit la gamme de ses couleurs pour se limiter à des camaïeux de bruns et de verts, à des jaunes fiévreux et à des vermillons pesants. Les corrections qu’il apporte sans cesse à ses tableaux les assombrissent encore, les rendant peu séduisants pour les amateurs.
Dans cette nature morte, l’artiste tente une nouvelle fois de conjuguer, dans la construction, la rigueur (équilibrant les masses) avec la subjectivité (refusant la rationalisation par la perspective centrale). Le point de vue choisi installe la table au centre de la composition de manière à ce que ses angles coupent les quatre longueurs de la toile rectangulaire. La nappe, les fourchettes, le couteau et la cuillère, l’assiette et les fruits, tous rabattus sur le plan, pointent dans toutes les directions. Les fourchettes se tordent. Les poires sont vues de dessus et de dessous, montrant à la fois leurs sépales et leurs pédoncules. La surface de la toile s’affirme au fur et à mesure que celle de la table se décrédibilise. La notation de la couleur n’est pas uniforme et lisse : enregistrant les effets de la lumière, elle accentue encore un sentiment général de déstabilisation qui fait dire au critique André R. Buhler : « Dans les régions basses du tableau, les pieds de la table, largement écartés, dansent et titubent […]. »
Cette Nature morte aux fourchettes s’anime et se transforme finalement en une sorte d’autoportrait au sourire narquois : l’assiette devient une tête grimaçante, les poires dessinent des yeux, les raisins une bouche et le couteau figure la cigarette dont l’artiste se séparait rarement.