Bibliographie
Deborah Keller, « Judith Albert – Mit tastender Kamera den Bildrändern entlang… », in Kunstbulletin, no 3, mars 2018, p. 54-61.
Christoph Vögele et Isabel Zürcher, Judith Albert, cat. exp. Soleure, Kunstmuseum Solothurn, Vienne, Verlag für Moderne Kunst, 2017.
Judith Albert, « Nu à l’écharpe orange, 2009 », in Hubertus Gassner, Angelika Affentranger-Kirchrath et Daniel Kope (éd.), Verzauberte Zeit : Cézanne, Van Gogh, Bonnard, Manguin. Meisterwerke aus der Sammlung Arthur und Hedy Hahnloser-Bühler, cat. exp. Hamburg, Hamburger Kunsthalle, Petersberg, Michael Imhof Verlag, 2015, p. 114-115.
À partir du milieu des années 1990, Albert opte pour l’image en mouvement, explorant les possibilités qu’elle offre pour capter de subtiles variations – changements de lumière, gestes ou mouvements presque imperceptibles – dans des mises en scène dépouillées et poétiques, qui puisent aussi bien dans l’histoire de l’art que dans un imaginaire très personnel.
Dans Nu à l’écharpe orange, une femme est allongée sur un divan recouvert d’un tissu pourpre, un bras rejeté en arrière ; elle semble dormir. Son corps occupe la diagonale de l’écran et se détache sur un fond de papier peint turquoise. Elle est nue à l’exception d’un tissu orange drapé sur sa hanche gauche, sur lequel repose un immense poulpe mauve. Ses tentacules entourent les cuisses de la femme et courent le long de son torse. L’animal suit le rythme calme et régulier de sa respiration – par intermittence, les deux mouvements sont asynchrones. On entend quelqu’un répéter un fragment d’une pièce d’Erik Satie, Gnossienne n° 1, qui s’interrompt et reprend.
Cet habillage sonore non seulement renforce le caractère domestique de la scène, mais il souligne aussi son caractère atemporel – elle pourrait se reproduire à l’infini. Le plan fixe, la pose immobile de la femme, la musique répétée et la projection en boucle lui confèrent ainsi un caractère de « tableau vivant ». Et de fait, l’œuvre est directement inspirée d’une toile de Vallotton (Nu à l’écharpe verte, 1914, La Chaux-de-Fonds, Musée des Beaux-Arts). Mais si Albert en a modifié les couleurs et a introduit l’élément incongru du poulpe là où chez Vallotton il n’y a qu’une écharpe verte qui à la fois cache et révèle le sexe féminin, c’est bien les rôles du peintre et de son modèle qui sont bouleversés, Albert occupant les deux positions à la fois. Quant au poulpe et à ses évocations aussi sensuelles que menaçantes, inspiré d’une gravure érotique d’Hokusai (Kinoe no komatsu, 1814), il interrompt le regard par une juxtaposition iconographique digne des surréalistes.