Alice Bailly
Rade de Genève ou Vol de mouettes, 1915

À l’aube de la quarantaine, Bailly récolte à Paris les fruits de son adhésion à l’avant-garde. Elle est désormais accueillie dans le cercle de Guillaume Apollinaire, fréquente Sonia et Robert Delaunay, et fait partie du Tout-Paris artistique. À la mi-juillet 1914, elle s’installe à Mézières, dans le canton de Vaud, pour consacrer son été à la préparation de sa participation au prochain Salon d’automne. Le 2 août, tout bascule : la guerre est déclarée et les frontières se ferment. La voilà contrainte de s’établir à Genève où elle va devoir faire face à une situation difficile. Comme l’a montré l’accueil hostile réservé en 1913 tant à l’exposition d’artistes cubistes français qu’elle a organisé à Lausanne et à Genève qu’à son exposition personnelle au musée Rath, les « abstraits » ne sont pas bienvenus en Suisse romande où le critique Paul Budry est presque seul à batailler à leurs côtés. Il lui faut trouver le moyen de survivre, coupée de ses réseaux parisiens et de la stimulation des milieux artistiques de Montparnasse.

Dans ce tableau, l’artiste propose une vision complètement renouvelée d’un paysage lacustre dont Ferdinand Hodler avait fourni les plus récentes représentations canoniques. Depuis sa rive droite, on voit se déployer la rade de Genève avec, en arrière-fond, la cathédrale Saint-Pierre. Utilisant la formule de stylisation très personnelle qu’elle a élaborée à partir du fauvisme, du cubisme et du futurisme, Bailly arrache le spectacle à son calme habituel. Dans une palette de bleus, de roses et de blancs d’une extrême stridence, elle convoque mouettes, cygnes, nuages et fumées d’un bateau à vapeur pour organiser un mouvement elliptique qui nous entraîne à tire-d’aile dans une ronde folle.