Félix Vallotton
Vases de Honfleur, 1917

Les séjours de Vallotton à Honfleur jouent un rôle décisif dans l’élaboration de ses paysages composés. D’autres recherches ont pour cadre l’atelier normand : l’artiste y explore les possibilités de représenter la guerre, traduisant sur la toile les observations recueillies dans son Journal et dans son carnet de croquis pendant les deux semaines du mois de juin passées à sillonner les zones de combats dans l’est de la France. C’est également à Honfleur que Vallotton peint à l’été 1917 des natures mortes, des nus et des paysages dont les atmosphères, lourdes, parfois mélancoliques, font allusion aux tragiques événements.

Dans Vases de Honfleur, une flottille militaire est positionnée au loin dans la baie du Havre, prête à intervenir. À gauche se dresse, dans l’ombre, la silhouette du phare d’Honfleur qui prend des allures de tour crénelée, architecture de défense dérisoire faisant face à l’immensité du large. Les ondes nées du flux et du reflux font écho aux ondulations des nuages. L’eau et le ciel sont traités dans les mêmes teintes de jaunes et de gris clairs. Au premier plan, de longs coups de pinceau noir figurent la remontée à la surface des alluvions et les deux lignes barrant l’horizon ; ils empêchent toute fusion des éléments et contribuent à accentuer l’ambiance pesante. Les navires semblent enlisés comme les sédiments déposés et ancrés au fil du temps dans l’estuaire de la Seine. La mer calme, la lumière froide, l’air humide et le temps comme arrêté font douter d’un dénouement immédiat et heureux. L’attente sera encore longue.

Le climat de mystère et d’étrangeté, la stylisation des formes traitées par masses, l’écriture aux lignes noires et ondulantes, la tentation du monochrome, évoquent les paysages marins du Belge Léon Spilliaert : ici aussi est évoqué un état d’âme dans la tradition symboliste.