François Bocion
Venise, 1882

Bocion séjourne pour la première fois à Venise à l’été 1874. Peintre du Léman, il attend de ce voyage un nouvel élan. « Qu’est-ce que cela donnera, nul ne le sait. Peut-être cela me fera-t-il lâcher le lac comme un lavement… », écrit-il avant de partir à l’écrivain Eugène Rambert. À en croire le nombre de toiles réalisées à son retour, la découverte de la ville et de sa lagune se révèle stimulante. Que ces tableaux ne rencontrent pas le succès escompté, qu’ils lui « restent sur les bras et [l’]écrasent de tout leur poids » n’empêchera pas Bocion de retourner à Venise à l’été 1881.

Cette vue de 1882 fait partie des toiles peintes dans l’atelier lausannois après ce deuxième séjour. Bocion choisit un point de vue sur le Grand Canal depuis un quai du quartier de Castello, au sud de l’Arsenal. Se reposant sur plusieurs esquisses réalisées sur le motif, il représente avec justesse la topographie des lieux et l’architecture des bâtiments. On reconnaît, de gauche à droite, San Giorgio Maggiore, Santa Maria della Salute, au loin San Vidal et San Maurizio et enfin San Marco, dont les campaniles et coupoles respectifs, savamment placés entre les voiles des bateaux, se détachent sur un ciel clair. Les embarcations, dont l’artiste se plaît à détailler la diversité – de la gondole au trois-mâts –, lui permettent de jalonner la profondeur et d’y guider le regard afin de contrebalancer le sentiment de fermeture donné par l’occupation serrée de l’horizon. Les jaunes et les rouges des voiles, les noirs profonds des coques, contrastent avec les bleus, gris et roses pâles des architectures et du ciel. Au premier plan, c’est la vie laborieuse du quartier le plus populaire de la Cité des Doges, le transport des marchandises et la construction navale, que Bocion nous raconte.