Taus Makhacheva. 4’224,92 cm2 de Degas

Taus Makhacheva. 4’224,92 cm2 de Degas

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Les œuvres de Taus Makhacheva (née en 1983, vit et travaille à Moscou), qu’elles prennent la forme de performances, d’installations ou de vidéos, s’inspirent souvent d’une histoire racontée, imaginée, ou dont elle a été témoin.

L’artiste interroge les grands récits de l’histoire comme de l’histoire de l’art, leurs constructions, leurs omissions, leurs biais géographiques et politiques. Ainsi, dans Tightrope (2015), une installation vidéo présentée à la 57e Biennale de Venise, on voit un funambule déplacer des répliques de tableaux du Musée des Beaux-Arts du Daghestan, d’où l’artiste est originaire, en équilibre sur une corde raide au-dessus d’un précipice, métaphore à la fois de la position de l’artiste et des hiérarchies à l’œuvre dans la constitution de la valeur artistique. Pour Lausanne, Taus Makhacheva prolonge ses réflexions sur le rapport au passé et à la culture, aux valeurs des œuvres et à leurs fluctuations, à partir de la collection du MCBA.

Son installation pour l’Espace Projet est le résultat d’un long processus de recherche au cours duquel elle a notamment suivi la transition de l’ancien musée vers le nouveau et les opérations nécessaires à cela (restaurations, conditionnements, déménagement), mais s’est également plongée dans l’histoire de la collection, s’intéressant aussi bien aux grands récits qui la fondent qu’aux anecdotes et aux individus qui l’ont construite au fil du temps. L’artiste propose ainsi une déambulation dans un musée imaginaire qui donne corps des récits tirés du réel, mais restitués comme une fiction.

Le titre de son exposition renvoie à la disparition inexpliquée à ce jour d’une partie – 4’224,92 cm2 – d’un pastel d’Edgar Degas appartenant au MCBA, entre le moment où il a été inventorié et photographié dans l’atelier de l’artiste après sa mort et son entrée au MCBA en 1936 (Blanchisseuses et chevaux, présenté actuellement au 1er étage de la Collection). Cette mystérieuse disparition fait écho à l’intérêt de Taus Makhacheva pour les processus de construction de la valeur artistique, mais elle constitue aussi un des indices qui lui permet d’élaborer son exposition comme une intrigue et de la dérouler comme un récit dans l’espace de l’installation.

Constituée presque exclusivement d’éléments en tissu, matériau qui à la fois protège, enveloppe mais aussi dévoile, et qui renvoie aussi bien à la toile peinte qu’à l’habit, au décor, et à la tradition de la soft sculpture, l’installation de Taus Makhacheva peut se lire comme une maquette à échelle humaine d’un musée à l’abandon. Des cimaises molles qui semblent avoir été construites pour des tailles d’enfants, brodées de fragments d’histoires réelles et imaginaires, des confettis sur lesquels on devine des détails de tableaux, des lés de tissu imprimé sur lesquels on repère les tracés qui manquent désormais au pastel de Degas, mènent à un large plateau suspendu marqué de plusieurs ouvertures par lesquelles glisser la tête pour écouter des sons qui évoquent simultanément l’eau, le feu, les termites et d’autres insectes nuisibles. Ailleurs dans l’espace, des histoires sur la valeur des œuvres, sur les réserves des musées et ce qui y est conservé et collecté tout en demeurant caché, sont diffusées par des haut-parleurs. Les corps des visiteurs ainsi pris dans le dispositif sont à la fois actifs (à l’écoute), et momentanément figés en statues éphémères, participant de l’installation. Au même titre que les sculptures, les récits peuplent l’espace et transforment le rapport au temps, à ce qui est su ou imaginé, vu ou ressenti.

Commissaire de l’exposition: Nicole Schweizer

Publication

Taus Makhacheva. 4’224,92 cm2 de Degas

Nicole Schweizer (éd.), avec des textes de Nicole Schweizer, Uzma Z. Rizvi et Vincent van Velsen, édition MCBA, Lausanne, 2020. Coll. Espace Projet, n°1, fr./angl., 32p.

CHF 5.-

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