Guide de visite
Surréalisme. Le Grand Jeu
Exposition Surréalisme. Le Grand Jeu
Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne (MCBA)
12.4 — 25.8.2024
En 1924, le premier manifeste du surréalisme paraît à Paris, jetant les bases d’une révolution artistique dont les effets se ressentent encore aujourd’hui. Défiant le règne de la raison après le désastre du premier conflit mondial, André Breton y appelle de ses vœux la réconciliation du rêve avec la réalité.
Le jeu tient une place centrale dans cette entreprise. D’abord présent comme activité informelle qui cimente la sociabilité surréaliste, ce dernier cristallise la naissance d’une pensée collective définie par un renversement des valeurs traditionnelles, la mise au ban des règles anciennes et l’invention de nouvelles manières de créer.
Consacré au surréalisme historique, le premier étage aborde le jeu dans ses multiples aspects, tant récréatif que subversif ou poétique et montre à quel point celui-ci a constitué un mode d’être au monde. L’exposition continue au deuxième étage où des artistes contemporain.e.s poursuivent l’élan de cet esprit libertaire qui a bouleversé notre manière d’envisager le corps, le langage ou les objets dans leur infinie capacité à se transformer.
1er étage
Stratégies créatrices
Capable d’absorber le.la joueur.euse au point de l’abstraire du monde dans lequel il.elle évolue, le jeu d’échecs a joué un rôle important dans les révolutions idéologiques et esthétiques du début du XXème siècle. Bien plus qu’un pur divertissement de la pensée, les pièces de l’échiquier renvoient à un idéal qui reflèterait le monde réel, servant tantôt d’allégorie du fonctionnement de la société, de la stratégie militaire ou de la bataille amoureuse.
Par le mélange d’éléments aléatoires et prévisibles, les échecs deviennent une métaphore de la stratégie surréaliste. Alors que Marcel Duchamp les conçoit comme un jeu contre l’ordinateur avant l’heure, Man Ray teste sa stratégie automatique de la «pensée désintéressée» sur l’échiquier.
Les échecs sont le point de départ de cette section qui témoigne de l’engouement surréaliste pour les stratégies créatrices, de l’automatisme aux jeux d’enfants.
Le jeu d’échecs
«En soi, le jeu d’échecs est un passe-temps, un jeu quoi, auquel tout le monde peut jouer. Mais je l’ai pris très au sérieux et je m’y suis complu parce que j’ai trouvé des points de ressemblance entre la peinture et les échecs. En fait, quand vous faites une partie d’échecs c’est comme si vous esquissiez quelque chose ou comme si vous construisiez la mécanique qui vous fera gagner ou perdre. Le côté compétition de l’affaire n’a aucune importance, mais le jeu lui-même est très plastique et c’est probablement ce qui m’a attiré.»
–Marcel Duchamp
Marcel Duchamp est le joueur d’échecs le plus chevronné du milieu surréaliste. Pour lui, la beauté des échecs réside davantage dans ce qu’il nomme «la matière grise» que dans le domaine de l’observable, ouvrant la voie à une approche conceptuelle de l’art. Reposant sur une structure géométrique qui renvoie à un nombre infini de combinaisons, les échecs deviennent une métaphore de la quête de la perfection artistique.
Automatisme
«Nous étions à la fois destinataires et contributeurs de la joie d’assister à l’apparition soudaine de créatures que nous n’avions pas prévues, mais que nous avions néanmoins créées.»
–Simone Breton
L’automatisme surréaliste représente, tout comme l’exploration des rêves, une manière de libérer l’esprit et de remettre en question le rationalisme du monde moderne. La création inconsciente, comme le gribouillage, a été un catalyseur pour nombre d’artistes travaillant à l’aide de processus d’improvisation.
S’il trouve dans le cadavre exquis son incarnation emblématique, l’automatisme a engendré de nombreuses pratiques inventives au-delà du dessin au trait, s’étendant à des techniques photographiques et cinématographiques expérimentales, à la limite du réflexe et de l’hallucination. Dans leur manifeste de 1924, les surréalistes se qualifient de «modestes appareils d’enregistrement ».
Jeux d'enfant
«L’esprit qui plonge dans le surréalisme revit avec exaltation la meilleure part de son enfance. […] Des souvenirs d’enfance et de quelques autres se dégage un sentiment d’inaccaparé et par la suite de dévoyé, que je tiens pour le plus fécond qui existe. C’est peut-être l’enfance qui approche le plus de la “vraie vie”; […] Grâce au surréalisme, il semble que ces chances reviennent.»
–André Breton
Les surréalistes estiment que l’enfant, encore épargné.e des effets de la société, possède une voie d’accès plus immédiate à l’inconscient que l’adulte. Entretenant le mythe de la naïveté et de la spontanéité, ils.elles sont fasciné.e.s par la figure du prodige et font du retour à l’enfance une de leurs stratégies de création.
Au début des années 1930, Gisèle Prassinos, alors âgée de quatorze ans, éveille l’intérêt des surréalistes par ses compositions poétiques effectuées à l’écriture automatique. Avec son frère, le peintre Mario Prassinos, elle s’engage dans un intense dialogue créatif où affleure un sens de l’humour souvent cruel. À partir des années 1940, la peintre belge Rachel Baes peuple son univers de petites filles aux airs inquiétants, plongées dans un monde fantasmagorique.
Le Grand Jeu
«Le Grand Jeu est irrémédiable; il ne se joue qu’une fois. Nous voulons le jouer à tous les instants de notre vie.»
–Roger Gilbert-Lecomte
En 1923, à Reims, quatre lycéens en quête d’absolu, René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte, Roger Vailland et Robert Meyrat forment un groupe qu’ils baptisent «Phrères simplistes». Désirant retrouver la simplicité de l’enfance et ses possibilités de connaissance intuitive et spontanée, ils s’essayent à des pratiques de recherches extrasensorielles et d’explorations télépathiques par le biais de la drogue.
Prétendant forger leur époque, ils se reconnaissent d’abord dans le surréalisme de Breton avant de manifester leur singularité dans Le Grand Jeu, une éphémère revue qui ne connaîtra que trois numéros. Le peintre d’origine tchèque Joseph Sima, le dessinateur et poète Maurice Henry et le photographe Artür Harfaux se rallient à leur cause.
La magie de l’image
Fuyant l’occupation nazie, un groupe d’artistes surréalistes se réfugie durant l’hiver 1940–1941 sur les hauteurs de Marseille, à la villa Air-Bel. Dans l’attente d’un visa pour quitter la France en direction des États-Unis, ils.elles inventent un jeu de cartes, connu depuis sous le nom de «Jeu de Marseille». Les couleurs traditionnelles y acquièrent une dimension symbolique. Le trèfle devient le trou de serrure noir de la Connaissance, le carreau, la tache du sang rouge de la Révolution, le pique, l’étoile noire du Rêve et le cœur la flamme rouge de l’Amour. La hiérarchie y est aussi bouleversée. Le Roi, la Reine et le Valet deviennent le Génie, la Sirène et le Mage.
Les surréalistes s’inspirent fréquemment du symbolisme occulte et cultivent l’image traditionnelle de l’artiste magicien.ne, voyant.e et alchimiste, considérant la magie comme un discours poétique et profondément philosophique, lié à une forme d’émancipation individuelle. Substituant de nouvelles images aux images anciennes, le Jeu de Marseille constitue le point de départ de cette section qui explore le rôle central joué par l’ésotérisme dans le développement du mouvement.
Un monde en métamorphose
«Plus loin, je remarquai une déesse assise les jambes croisées, adossée à une falaise, les reins baignant dans l’eau. Ses clavicules furent diluées par un géant qui passait; son sein droit se détacha, coula le long de son torse, son téton tubulaire pointa vers le lac, où il tomba et fondit.»
–Ithell Colquhoun
La création de nouveaux archétypes à partir de mythes anciens est une constante chez les surréalistes. Ce monde imaginaire est peuplé d’êtres hybrides, de fleurs-insectes, d’animaux-plantes, pris dans un processus de transformation. S’y reflète l’intuition d’une unité profonde de la nature où les formes et les êtres coexistent et se complètent. Les paysages empruntent des formes corporelles, les portraits se transforment en paysage, les poupées s’animent, la chair devient pierre, tandis que, dans un jeu de reflets fantasmatiques, un cygne se métamorphose en éléphant.
Ésotérisme
Dès les débuts du surréalisme, anarchisme et ésotérisme sont intimement liés. La remise en cause de l’ordre établi passe par l’avènement de forces magiques directement reliées à l’inconscient. De nombreux.se.s artistes en font un mode d’appréhension privilégié du monde, sans pour autant adhérer à une croyance ou à une transcendance. La création d’images énigmatiques passe par des contrastes extrêmes de forme et d’échelle, ou par l’intégration d’éléments apparemment illustratifs dans des compositions qui sont tout sauf rationnelles.
Les mystères de l’occulte
«La magie stimulait la réflexion. Cela a libéré l’homme de ses peurs, lui a donné le sentiment de pouvoir contrôler le monde, a aiguisé sa capacité d’imagination et a maintenu éveillé ses rêves de réalisations supérieures.»
–Kurt Seligmann
En 1930, le Second manifeste du surréalisme convoque un alchimiste légendaire du XIVème siècle: Nicolas Flamel. Appelant de ses vœux «l’occultation profonde et véritable du surréalisme», Breton y réitère sa fascination pour le mystérieux et l’incommunicable. Des artistes comme Ithell Colquhoun et Kurt Seligmann poussent très loin les recherches dans le domaine de l’occulte jusqu’à établir des anthologies sur le sujet. La kabbale, la chiromancie, le tarot, ou encore l’astrologie connaissent un regain d’intérêt, entrainant dans leur sillage des images codées à déchiffrer.
Le jeu sans fin
«Un coup de dés jamais n’abolira le hasard.»
–Stéphane Mallarmé
Le jeu de dés entraîne les surréalistes dans le champ du hasard. C’est en imaginant la face vierge d’un dé que l’on entre sur le terrain de jeu illimité de la page blanche, du néant où tout finit et où tout recommence.
Composé de vingt poèmes-collages, le livre de Georges Hugnet La septième face du dé (1936) est emblématique de cette dimension abstraite et théorique du surréalisme qui lie érotisme et métaphysique. Sur la couverture figure la reproduction du ready-made Why Not Sneeze Rose Sélavy? (1921) de Marcel Duchamp. Cet alter ego fictif à consonance féminine, proche de «Éros, c’est la vie», fait référence au jeu auto-érotique de Duchamp avec sa propre œuvre qui va s’étendre jusqu’au dépassement des identités de genre.
En partant de la figure centrale de Duchamp et de son intérêt pour l’aléatoire, l’art non rétinien, cette section explore les ramifications surréalistes dans les domaines de l’abstraction et de l’érotisme, jusqu’à imaginer une possible fin du jeu.
Au-delà de la figuration
Répondant à l’injonction de l’« automatisme absolu» lancée par Breton en 1942, certain.e.s artistes s’affranchissent de la vraisemblance figurative pour s’engager dans la voie de l’abstraction. Installé aux États-Unis, le peintre français Yves Tanguy s’aventure dans des paysages à l’atmosphère laiteuse qui offrent l’image d’un monde en latence totale.
Conçus pour produire l’illusion du volume, les Rotoreliefs de Marcel Duchamp réapparaissent en mouvement dans Dreams That Money Can Buy (1947), film expérimental du plasticien et cinéaste Hans Richter. Si le surréalisme constitue pour certain.e.s une étape vers l’abstraction, de nombreux.se.s artistes ne cesseront d’effectuer des allers-retours, n’y voyant là rien d’incompatible.
Les voix du silence
«Qu’ai-je espéré si follement ? Et cette folie est ma seule force.»
–Unica Zürn
Sonja Sekula et Unica Zürn ont en commun l’expérience de la maladie mentale qui a contribué à marginaliser pendant longtemps la réception de leur œuvre.
Installée à New York de 1936 à 1955, Sekula tisse des liens avec la communauté des artistes surréalistes expatrié.e.s à laquelle se mêle une génération montante d’expressionnistes abstrait.e.s américain.e.s. Refusant d’adhérer à un style défini, son travail retient l’attention de la critique qui y repère l’influence de l’abstraction gestuelle et de l’art amérindien.
Artiste allemande exilée à Paris dès 1953 aux côtés de Hans Bellmer, Zürn navigue entre écriture et dessin. De son trait arachnéen jaillissent des créatures métamorphiques, reflets de ses fantasmes et de ses angoisses.
Ambivalence du désir
L’exploration de l’inconscient a longtemps permis aux artistes surréalistes de remettre en question les formes de répression et d’exclusion dictées par les conventions sociales en vigueur. Si une partie de cette production reflète les désirs complexes des hommes hétérosexuels et leur regard sur le corps féminin, une autre aborde des conceptions plus fluides du genre et de la sexualité.
Par exemple, les mises en scène provocantes de Pierre Molinier explorent les arcanes de l’auto-érotisme, tandis que la performance subversive du trapéziste transformiste Barbette remet en question les notions fixes de genre. À Paris, Irène Zurkinden donne libre cours à sa subjectivité féminine dans l’expression de son intimité. Ces images remettent en question les notions traditionnelles de privilège et de pouvoir, tout en représentant les désirs et les fantasmes des artistes.
Œuvres présentées
Suzanne Duchamp, "The Blind Man", 1925
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La sœur de Marcel Duchamp fait le portrait de son frère en joueur d’accordéon aveugle, livré à la charité des passant.e.s. Le titre du tableau fait allusion à la revue Dada éponyme publiée à New York en 1917. Lors du scandale provoqué par le refus de présenter Fountain (1917), le célèbre urinoir proposé par Duchamp lors de la première exposition de la Société des artistes indépendants, la revue prend parti pour son auteur fictif, R. Mutt. La représentation pleine d’ironie de l’artiste en aveugle s’oppose au mythe de l’artiste visionnaire et témoigne des échanges artistiques au sein de la fratrie Duchamp.
Marcel Duchamp, "Pocket Chess Set", 1944
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Après avoir annoncé se retirer de l’art en 1923, Marcel Duchamp consacre les dix années suivantes de sa vie à des tournois professionnels jusqu’à obtenir le titre de Maître de la Fédération française d’échecs. En 1943, il conçoit un jeu de poche qui permet de s’entraîner en toute circonstance. Prévoyant de le commercialiser auprès des amateur.ice.s d’échecs avec la garantie que les pièces épinglées restent en place pendant le voyage, il expose le prototype lors de l’exposition The Imagery of Chess à la galerie Julien Levy de New York en 1944.
Revue "Le Grand Jeu"
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«Le Grand Jeu, écrit Daumal, n’est pas une revue littéraire, artistique, philosophique ni politique. Le Grand Jeu ne cherche que l’essentiel». Aventure ambitieuse, exemplaire des générations spontanées de l’entre-deux-guerres, l’expérience éphémère du groupe et de la revue du Grand Jeu s’inscrit dans la lignée de Rimbaud et des grands mystiques. Les textes à la portée volontiers poétique et philosophique ne proposent pas de programme. Le groupe se dissout dès 1932 et un quatrième numéro en préparation ne verra jamais le jour.
Maurice Henry
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En 1932, Maurice Henry prend ses distances avec le Grand Jeu pour se rapprocher des surréalistes. Il poursuit dès alors ses activités de dessinateur humoristique, de journaliste et de critique cinématographique pour les principales revues françaises tout en participant aux activités du groupe. Il collabore avec Artür Harfaux à l’écriture de nombreux scénarios pour le cinéma sous le nom des «Gagmen associés». Dans le domaine du dessin humoristique, voué jusque-là aux plaisanteries faciles qui prenaient pour cible la vie bourgeoise quotidienne, Henry introduit l’insolite, le rêve et la cruauté grâce à son trait virtuose.
Dessins Daumal
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Le Grand Jeu, dès les premiers jours, est face à deux états du surréalisme: celui des débuts, volontiers ésotérique et anarchiste, et celui de 1926 puis de 1929, proche du communisme. Fasciné par l’Orient mystique, René Daumal se montre proche de la vision primitive d’Antonin Artaud. Convaincu de la décadence de l’occident, il réalise de nombreux dessins qui tournent en ridicule l’homme blanc dans un contexte d’expansion coloniale maximale.
Joseph Sima, "Roger-Gilbert Lecomte dit Roger Gilbert-Lecomte", 1929
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En 1930, Joseph Sima présente onze portraits des membres du Grand Jeu dans une exposition personnelle intitulée L’Énigme de la Face. Le centrage du tableau sur «la face» exclut toute référence à un contexte social et élude le descriptif au profit d’une intense captation de l’individu qui semble surgir des ténèbres comme une apparition. Pour comprendre l’énigme du poète, Sima cherche l’empreinte spiritualisée de la lumière intérieure.
Germaine Dulac, "La Coquille et le Clergyman", 1927
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Basée sur un scénario d’Antonin Artaud, l’intrigue de ce film ne suit pas de déroulement chronologique. Le thème central est celui du désir qu’éprouve un clergyman pour une femme qui apparaît et disparaît tour à tour, souvent accompagnée par son amant officier, personnage à la fois censeur et castrateur. De nombreux plans sont réalisés grâce à des techniques de superpositions ou de surimpressions qui évoquent le collage surréaliste. Cette exploration des possibilités visuelles par le cadrage, le mouvement et les jeux d’ombre, vise à transposer à l’écran les profondeurs de la psyché et les dynamiques de désir, d’ordre, d’interdit, de sacré et de refoulement.
Lise Deharme et Claude Cahun, "Le Cœur de Pic", 1937
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En 1937, Lise Deharme et Claude Cahun collaborent à un album pour enfants centré autour d’un protagoniste nommé Pic. Le titre est une référence à «la dame de Pique», surnom de Deharme dans le cercle surréaliste. Tandis que celle-ci rassemble dans ce recueil hybride une série de poèmes consacrés à l’univers floral et au règne animal, à la manière d’un conte merveilleux, Cahun construit des décors photographiques miniatures où, rassemblés dans des saynètes, les jouets, les aliments, les plantes et les objets ménagers deviennent les personnages du conte. Réalisé à quatre mains, Le Cœur de Pic est caractéristique du livre surréaliste, alliant littérature et arts visuels.
Man Ray, "L'écriture automatique ou Séance de rêve éveillé", 1924 (1988)
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Au centre d’une assemblée d’hommes réunis au Bureau de recherches surréalistes, rue de Grenelle à Paris, Simone Breton est assise devant sa machine à écrire. Seule femme du groupe, elle joue le rôle de la dactylographe qui enregistre l’un des rêves éveillés de Robert Desnos. L’ «enregistrement» n’a évidemment rien de spontané et la mise en scène de Man Ray devient le théâtre d’une double performance.
Dessins communiqués
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Le principe des dessins communiqués est une variante du cadavre exquis. Le.la premier.e participant.e réalise un dessin qui est ensuite caché de façon à ce que le.la suivante le reproduise de mémoire et ainsi de suite. Plus le nombre de participant.e.s est élevé, plus le dessin final est éloigné du dessin originel. Dans la dégradation successive de l’image, des éléments d’absurde apparaissent.
Cadavres exquis
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Inventé par les surréalistes en 1925, le cadavre exquis est ainsi défini par André Breton dans le Dictionnaire abrégé du Surréalisme (1938): «Jeu de papier plié qui consiste à faire composer une phrase ou un dessin par plusieurs personnes sans qu’aucune puisse tenir compte de la collaboration ou des collaborations précédentes.» L’exemple qui a donné son nom au « cadavre exquis » tient dans la première phrase obtenue par cette technique: «Le cadavre exquis boira le vin nouveau.» Il participe du goût du hasard et de l’étrange, cher aux surréalistes, et tient à la fois du jeu de société et de la magie.
Gisèle et Mario Prassinos
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Née dans une famille grecque établie à Constantinople, Gisèle Prassinos émigre en France en 1922. Alors qu’elle n’a que quatorze ans, son frère Mario fait connaître aux surréalistes les textes qu’elle écrit. Composés selon le procédé de l’écriture automatique, ils mettent en scène la violence et la cruauté de l’enfance. Séduit, André Breton publie ses poèmes dans les revues Minotaure et Documents 34.
La sauterelle arthritique paraît en 1935 préfacée par Paul Eluard et accompagnée d’une photographie de Man Ray. Prenant ses distances avec cet épisode elle dira «Ils m’intimidaient et me traitaient un peu comme un objet […] Quand j’y pense, ils ne me parlaient même pas directement comme à une personne à part entière […] Ce n’était pas qu’ils m’exhibaient, j’illustrais leur théorie. J’étais une preuve que l’inconscient existe, et qu’il peut fonctionner.»
Gisèle Prassinos est également l’autrice de nombreux dessins. L’échange artistique avec son frère, qui s’engage dans une carrière de peintre, est permanent. Ils inventent même une langue fictive, le «claude», dans laquelle ils échangent à l’occasion d’événements marquants.
Rachel Baes, "Le Jardin de Rubens", 1947
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Peintre autodidacte, Rachel Baes se distingue comme une figure singulière du surréalisme belge. Après la Seconde Guerre mondiale, la représentation de jeunes filles dans des environnements inquiétants devient son sujet de prédilection. Saisissant un moment de cruauté comme il peut parfois en surgir entre enfants, la scène nocturne se déroule dans une représentation stylisée du jardin du peintre Pierre-Paul Rubens, à Anvers. L’influence du primitivisme flamand se ressent souvent dans son œuvre, notamment dans le traitement des vêtements à plis cassés.
Gladys Hynes, "Penny for the Guy – the thought that all war is caused by the faceless money men of the City", 1940
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Gladys Hynes est déjà une artiste confirmée lorsque le surréalisme se diffuse en Angleterre. Féministe engagée et pacifiste, elle aborde dans son œuvre certaines des questions les plus controversées de son époque. Avec le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, elle dénonce les méfaits du capitalisme et du complexe militaro-industriel, comme l’indique le sous-titre de l’œuvre. Assis à califourchon sur un canon, l’homme aux allures de pantin vêtu d’une veste militaire est une référence à Guy Fawkes dont l’échec du complot contre le parlement anglais au XVIème siècle est célébré chaque année par des feux de joie. À la tombée de la nuit, les enfants demandent aux passants «A penny for the guy» avant de brûler la marionnette.
Victor Brauner, "Étude pour Hélène Smith, une des douze figures du Jeu de Marseille", 1941
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Des nombreuses réalisations faites à la Villa Air-Bel, la plus marquante est certainement le Jeu de Marseille – clin d’œil aux fameux «tarots de Marseille», qu’André Breton étudie à l’époque. Un tirage au sort détermine la conception des différentes cartes. Victor Brauner réalise celles dédiées au philosophe allemand Hegel et à la medium genevoise Elise Müller (1861-1929). Elle y apparaît dessinée en Sirène de Connaissance. Connue sous le nom d’Hélène Smith grâce aux travaux du psychologue Théodore Flournoy, elle devient dès les années 1920 une figure de fascination pour les surréalistes. Breton s’en inspire en 1928 pour l’héroïne de Nadja.
Leonor Fini, "L’Argonaute", 1936
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Longues jambes, taille fine, chevelure immense, cet autoportrait idéalisé de l’artiste n’échappe pas aux stéréotypes féminins. Cependant la volonté de Leonor Fini de combiner son image à celle de figures fantastiques est aussi une manière de s’approprier leur puissance. Dans la mythologie grecque les Argonautes accompagnent Jason dans sa quête de la Toison d’Or. La seule femme de l’équipage est Atalante, qui a refusé de se marier pour partir à l’aventure. Dans un style que Jean Cocteau qualifie de «réalisme irréel», l’artiste réinvente ici une forme de représentation héroïque.
Claude Cahun, "I am in training, don’t kiss me", vers 1927
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«Neutre est le seul genre qui me convienne toujours.», écrit Claude Cahun dans Aveux non avenus (1930), se démarquant ainsi de la grande majorité des artistes et écrivain.e.s surréalistes. Ses autoportraits, réalisés avec sa compagne Marcel Moore, brouillent souvent les lignes de démarcation entre les sexes. Les stéréotypes masculins sur lesquels Cahun s’appuie font plutôt allusion au personnage dandy et homosexuel de la fin du XIXe siècle, comme dans cette célèbre image où elle tient des haltères. Grimée et costumée, elle orchestre un jeu de cache-cache avec sa propre image, témoignant d’une subjectivité complexe, en perpétuelle transformation.
Marion Adnams, "Medusa Grown Old", 1947
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Établie dans le centre de l’Angleterre, Marion Adnams réalise de nombreux dessins d’objets naturels trouvés au cours de ses promenades avant de les incorporer dans ses peintures. C’est à ce moment-là, en changeant d’échelle, qu’ils prennent une vie surréaliste et mystérieuse. Elle décrit cette transformation comme une résurrection d’objets morts et inanimés. En 1947, elle emprunte une petite sculpture africaine au musée de la ville pour l’étudier de plus près. «Un jour, j’ai fait un dessin d’elle et, une fois terminé, je l’ai laissé tomber par terre près de ma chaise. Par hasard, il a atterri sur un dessin que j’avais fait la veille – celui d’un vieux chêne anglais, aux branches noueuses et tordues. Elles encadraient la tête de la figure africaine, et elle était là – Méduse, avec des serpents en guise de cheveux».
Marie Vassilieff, "Poupées", 1938
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Figure incontournable de l’avant-garde parisienne, Marie Vassilieff commence à confectionner des poupées à l’effigie de son entourage à la fin des années 1910. Brouillant la frontière entre art et artisanat, ces «poupées-portraits» à la portée symbolique sont inspirées de la tradition populaire russe. Si certaines s’inscrivent dans une veine naturaliste, celles représentées ici autour d’un poupon témoignent de l’attirance des modernes pour les objets d’art primitif qu’ils abstraient de leur contexte d’origine pour les utiliser dans leur création. La composition traduit un goût pour la mise en scène chez cette artiste qui réalise également des décors de théâtre.
René Magritte, "Mouvement perpétuel", 1935
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En 1926, René Magritte fonde avec Paul Nougé (1895-1967) le surréalisme belge avec l’orientation «scientiste» d’un art qui se veut au service de la pensée. Avec Mouvement perpétuel, il étend à l’imaginaire populaire du cirque le jeu intellectuel avec la perception qui définit son style. Dans un geste à la fois absurde et ironique, l’Hercule forain soulève un haltère dont une boule est sa propre tête. L’influence métaphysique de De Chirico s’éloigne au profit d’un jeu de trompe-l’œil fondé sur l’observation minutieuse de la réalité. Poussant l’illusion dans ses retranchements, l’artiste élabore des glissements de sens qui caractérisent son univers énigmatique.
Ithell Colquhoun, "La Cathédrale Engloutie", 1950
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Inspirée par les croyances celtes ancestrales, Ithell Colquhoun a souvent représenté les sites mégalithiques de Cornouailles ou de Bretagne, pensant que leurs bâtisseurs avaient choisi de les construire sur des lieux aux pouvoirs magiques. La cathédrale engloutie s’inspire ainsi des cercles en pierre de l’îlot d’Er Lannic dans le Morbihan, dont une partie est immergée à marée basse. Colquhoun estime que «l’immersion quotidienne de ce temple dédié aux pouvoirs de la mer et de la terre était peut-être voulue par ses bâtisseurs.» Le titre de l’œuvre fait référence à une œuvre musicale de Claude Debussy inspirée d’une légende bretonne.
Salvador Dalí, "Cygnes reflétant des éléphants", 1937
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Influencé par la psychanalyse freudienne, Salvador Dalí élabore une méthode de création fondée sur la paranoïa-critique qui lui permet de canaliser ses associations délirantes. Œuvre emblématique du peintre catalan, Cygnes reflétant des éléphants est structurée autour d’une image double qui fusionne celle du cygne et celle de l’éléphant. Outre l’illusion d’optique, Dalí joue du contraste entre la grâce du cygne et le poids de l’éléphant et entre le calme de l’eau et le paysage tourmenté qui l’entoure. Le thème du reflet déformant et la remise en cause de la perception rationnelle que celui-ci induit se retrouve dans de nombreuses œuvres surréalistes.
Jane Graverol, "L’école de la vanité", 1967
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Anges, phénix et autres créatures ailées apparaissent très tôt dans les tableaux de Jane Graverol, mais deviennent des éléments récurrents dans les années 1960, lorsque l’artiste commence à expérimenter le collage. Poussant à l’extrême l’ambiguïté de la mythologie, la sphinge de L’École de la vanité (1967) traduit une féminité monstrueuse mais consciente de sa propre sensualité. Bien que ses entrailles soient un enchevêtrement de machines, son visage est aussi délicat et séduisant que la fleur qu’elle tient dans ses pattes. De cette métamorphose en hybride naît l’image d’une figure féminine capable de forger son propre destin en transformant les parties de son corps en armes d’émancipation sociale.
Leonora Carrington, "Cœur d’Amour Épris", 1960
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L’autrice et peintre Leonora Carrington nourrit dès l’enfance une passion pour la littérature fantastique qui l’accompagnera toute sa vie. Cœur d’Amour Épris reprend le titre du récit chevaleresque écrit par le duc René d’Anjou au XVème siècle. Cette scène de rencontre – ou de confrontation – amoureuse à la dimension quasi sacrée est peuplée de références alchimiques (le vert et sa qualité transitionnelle) et astrologiques (le rouge-orange associé à Mars et donc au signe du Bélier, celui de l’artiste). Le format de la peinture ainsi que son caractère narratif rappellent les prédelles des retables italiens qu’elle découvre adolescente lors d’un séjour à Florence.
Maya Deren, "The Witch’s cradle", 1943
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Tourné dans la galerie de Peggy Guggenheim à New York, ce film inachevé suit l’actrice Pajorita Matta errant d’un rituel à un autre dans des séquences sans lien narratif. Elle apparaît sur certains plans avec un pentagramme sur le front entouré des mots « the end is the beginning is … » Ce symbole occulte en forme d’étoile évoque une conception circulaire du temps, sans début ni fin, à l’image du film. La caméra passe rapidement d’un gros plan sur le nez et les lèvres de l’actrice, à un homme, joué par Marcel Duchamp, dont les doigts sont enchevêtrés par une ficelle, puis à un cœur qui bat et qui fait soudain prendre conscience de son propre rythme interne.
Friedrich Schröder-Sonnenstern, "Die Dreidimensionale Beförderung auuer Mondbewohner", 1954
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Friedrich Schröder-Sonnenstern effectue des séjours en maison de correction et en hôpital psychiatrique dès l’adolescence en raison d’un comportement violent. Il gardera de ces expériences une haine pour l’autorité. Après la guerre, il s’installe à Berlin, se déclarant astrologue et magnétiseur pour gagner sa vie. Suite à un internement pour vol, les médecins lui diagnostiquent une démence précoce. Il se tourne alors vers la peinture et le dessin. Ses figures fantastiques, caricatures colorées souvent placées dans des positions acrobatiques, représentent une mythologie personnelle au contenu sexualisé. Le sentiment de subversion sadique qui caractérise son œuvre séduit les surréalistes qui l’invitent à participer à l’Exposition internationale du surréalisme en 1959.
Victor Brauner, "Ville médiumnique", 1930
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Le rapport que Victor Brauner entretient avec le cosmos fait référence à une expérience prophétique vécue comme un principe guidant sa vie et son œuvre. En 1938, un étrange accident lui confère une place à part, exemplaire des liens qui unissent le surréalisme avec le spiritisme: il perd son œil gauche à la suite d’une rixe. Avant cet évènement peu banal, il peint de manière prémonitoire des tableaux autour du thème de l’œil arraché. La divination et la prophétie s’avèrent centrales dans son processus créateur et il y intègre fréquemment du vocabulaire symbolique et formel des civilisations anciennes. Ici, les immeubles de la ville endormie se transforment en totems.
Max Ernst, "Moonmad", 1944
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Cette sculpture fait allusion aux pouvoirs spécifiques de la lune. Max Ernst emprunte les voies du cosmos pour accéder à l’inconscient. Durant l’été 1944, il loue avec Dorothea Tanning et le marchand d’art et collectionneur Julien Levy une maison à Long Island, près de New York. C’est là qu’il réalise le modèle en plâtre de Moonmad. Plus tard, Levy se souviendra comment il a aidé à placer l’œuvre dans un champ afin qu’Ernst puisse la contempler à la lumière de la pleine lune. Un grand modèle en bronze se trouve dans le jardin de la maison d’Ernst et Tanning à Seillans, en France, où le couple a vécu de 1964 à 1976.
Max Ernst, "Epiphanie (Dream Landscape)", 1940
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Utilisant comme point de départ le motif aléatoire des taches de Rorschach réalisées en pressant une surface lisse telle que le verre contre de la peinture à l’huile diluée, Max Ernst trouve dans la technique de la décalcomanie une nouvelle liberté d’invention. Dans ce paysage aux allures de forêt mystique dominé par une lune étincelante et un ciel vert qui lui donne un air irréel, la nature semble s’animer. Semblant naître des formes végétales coagulées par la décalcomanie, de mystérieuses créatures à l’allure mythologique et au regard observateur semblent s’éveiller pour partager leurs secrets avec un homme errant, en attente d’une révélation. Ce tableau sombre est l’un des derniers que Max Ernst réalise en Europe avant de fuir pour l’Amérique en 1941.
Kurt Seligmann, "The Cabalist / The Golem", 1942
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Kurt Seligmann est connu pour ses illustrations de troubadours médiévaux se livrant à des rituels macabres fantastiques, inspirés du carnaval de Bâle, sa ville natale. Son œuvre gravé témoigne de la formation d’un vocabulaire symbolique, marqué par un certain anachronisme. Cela n’empêche pas cependant une lecture plus politique. Cette estampe, qui représente une étrange figure métamorphique composée de parties anatomiques écorchées et bandées, écho lointain du Golem de la mystique juive, est publiée pour la première fois dans View, magazine culturel américain diffusant le surréalisme aux États-Unis. La reproduction accompagne un article décrivant la «folie» du stoïcisme britannique face aux raids aériens allemands.
Kurt Seligmann, "La deuxième main de Nosferatu (The Superfluous Hand)", 1938
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Peintre d’origine suisse, Kurt Seligmann participe dès 1934 aux réunions du groupe surréaliste à Paris. Il s’intéresse aux sciences occultes et à l’ethnographie, notamment aux totems de la culture amérindienne des Tsimshians. Cette peinture est ainsi le résultat de multiples influences. En faisant de la créature mutante au centre de l’espace pictural un véritable animal surréaliste, il espère en libérer la substance totémique. Le motif de la griffe à quatre doigts apparait de manière récurrente dans les Chants de Maldoror (1869), conte cruel d’Isidore Ducasse mettant en scène un personnage nihiliste et maléfique. Le titre fait en outre directement référence au film Nosferatu (1922) du cinéaste expressionniste allemand F.W. Murnau qui jouit d’un statut culte parmi les surréalistes.
André Breton, "Thème astrologique de Benjamin Péret", 1926-1930
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L’inclination à explorer toutes les formes de connaissance intuitive amène naturellement les surréalistes à s’intéresser à l’astrologie. Celle-ci s’impose comme une façon hétérodoxe d’approcher les énigmes du monde. Dans les années qui suivent sa Lettre aux voyantes (1925), André Breton réalise les thèmes astrologiques de nombreux membres du groupe, dont le poète Benjamin Péret, mais également ceux de figures tutélaires du mouvement comme Rimbaud ou Lautréamont. La réalisation de ces cartes du ciel et le calcul du thème à la main requièrent une certaine compétence technique, ce qui témoigne du sérieux que Breton accorde à l’étude astrologique.
Revue VVV
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André Breton tente de fédérer la communauté surréaliste en exil à New York autour d’une nouvelle revue. Le titre VVV est une référence aux mots «Victory», «View», et «Veil» tirés d’un de ses textes «Victory over the forces of regression, View around us, View inside us […] the myth in process of formation beneath the Veil of happenings» («La victoire sur les forces de la régression, la vue autour de nous, la vue en nous […] le mythe dans le processus de formation sous le voile de ce qui se passe.») La diffusion des idées surréalistes dans ces quatre numéros trouve un écho important dans la jeune génération d’artistes américains, notamment Mark Rothko et Jackson Pollock.
Alberto Giacometti, "Projet pour la Chase Manhattan Plaza: Homme qui marche, Femme debout, Tête sur socle", 1959
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Compagnon de route du surréalisme au début des années 1930, Alberto Giacometti s’en détache rapidement pour se diriger vers une figuration influencée par l’existentialisme naissant. Avec On ne joue plus (1931/32), il anticipe déjà la fin de la partie. La sculpture aux allures de plateau de jeu creusé de demi-sphères ressemble à un champ de tombes.
En 1958, il est invité à soumettre un projet pour le parvis de la Chase Manhattan Bank à New York. Utilisant l’espace public comme terrain de jeu, Giacometti choisit de reprendre en grande taille les trois motifs qui hantent son œuvre depuis 1948: une figure féminine debout, un grand homme qui marche et une tête monumentale posée au sol, mais le monument resta à l’état de figurine et ne fut jamais réalisé.
Sonja Sekula, "Silence", 1951
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Figure majeure de la scène new-yorkaise, amie de John Cage et Merce Cunningham, Sonja Sekula participe en 1951 à la légendaire exposition 9th Street Show qui lance l’expressionisme abstrait. Faisant le lien entre les tropes surréalistes et l’abstraction géométrique, d’une part, et le marquage gestuel de l’action painting, d’autre part, cette peinture témoigne d’un moment de transition clé dans le modernisme américain. En 1955, elle est forcée de rentrer en Suisse pour soigner sa schizophrénie. Son exil met un terme à sa carrière brillante et sa contribution à l’histoire de l’abstraction tombe largement dans l’oubli jusqu’à sa récente reconsidération. Malgré les traitements, elle se suicide à l’âge de 45 ans.
Unica Zürn, "Sans titre", 1955
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Associée au mouvement surréaliste qu’elle fréquente dès les années 1950 suite à sa rencontre avec Hans Bellmer, Unica Zürn se distingue par ses talents de dessinatrice. L’utilisation de l’encre donne naissance à un bestiaire fantasmagorique au graphisme minutieux. Dans un enchevêtrement de lignes fluides, elle met à nu ses fantasmes et ses angoisses morbides. La littérature est également un moyen d’exprimer sa souffrance psychique. Dans L’Homme-Jasmin (1971), elle explore avec la concision froide d’une intelligence clinique et la vérité d’une voix non altérée les affres de la schizophrénie.
Marcel Duchamp, "Rotorelief", 1965
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Marcel Duchamp est très tôt inspiré par la représentation du mouvement. Dans Anémic cinéma (1925) – film expérimental qu’il coréalise avec Man Ray et Marc Allégret, signé de son double fictif Rrose Sélavy «experte en optiques de précision», il utilise déjà des disques optiques. En 1935, il conçoit les Rotoreliefs, ensemble de six disques de carton imprimés en recto verso, dont les dessins s’intitulent Corolles, Lanterne chinoise ou Escargot, comme «un divertissement visuel». S’utilisant sur un phonographe, ces disques colorés déploient des effets de creux ou de reliefs hypnotisants sous l’effet de leur rotation.
Marcel Duchamp, "Obligation de Monte Carlo", 1924 / 1938
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En 1924, Marcel Duchamp s’intéresse au fonctionnement des jeux d’argent dans les casinos de Monaco. Après une période d’étude, il annonce qu’il a mis au point une stratégie de jeu à la roulette qui devrait lui permettre de défier le hasard. Duchamp crée et vend des obligations, comme celle présentée ici, afin que d’autres puissent « investir » dans son jeu stratégique et, en fin de compte, en récolter les fruits. Comme c’est souvent le cas avec lui, la frontière entre la sincérité et la plaisanterie est difficile à tracer. La roulette est ornée d’une photographie de Duchamp lui-même, la tête couverte de savon. À l’arrière-plan, il a imprimé un texte pour rendre la falsification plus difficile, mais celui-ci indique la phrase absurde « moustiques domestiques demistock ».
Marcel Mariën, "Muette et aveugle me voici habillée des pensées que tu me prêtes", c. 1940-1945
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La pratique visant à combiner mots et corps féminin traverse toute l’œuvre photographique de Marcel Mariën, acteur central du surréalisme belge. La pose de dos est un clin d’œil à la célèbre photographie de Man Ray, Le Violon d’Ingres (1924), même si l’intérieur intime et le caractère performatif de la mise en scène contraste avec l’image léchée du studio photographique. L’utilisation du corps de la femme comme instrument plastique est une constante chez les artistes surréalistes masculins. Muette chez Man Ray, elle est ici pourvue d’une voix. L’inscription sur son dos s’adresse directement au regardeur, l’interroge sur sa position d’autorité et souligne la nature subjective de la perception.
Denise Bellon, "Mannequins surréalistes de l’Exposition internationale du surréalisme de 1938"
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En 1938, le groupe surréaliste organise son ambitieuse Exposition internationale du surréalisme dans la galerie des Beaux-Arts, à Paris. Un couloir baptisé «les plus belles rues de Paris» présente seize mannequins de vitrines sous des noms de rues en partie fictifs. La photographe Denise Bellon documente la mise en place de l’exposition. Ses portraits des artistes avec leurs mannequins témoignent ainsi du caractère ludique et improvisé de ces assemblages surréalistes.
Man Ray, "Barbette", 1926 (1988)
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Man Ray réalise pour Jean Cocteau une dizaine de photographies du trapéziste Barbette (Vander Clyde, 1898-1973). Artiste androgyne, celui-ci connaît une grande renommée dans les années 1920-30, se produisant au Cirque Medrano, à l’Opéra Music-Hall, l’Olympia et au Moulin Rouge. Il y réalise son numéro d’acrobate en femme, jusqu’au final, où il dévoile son travestissement. Le visage très maquillé de Barbette, sa perruque et son torse musclé suggèrent un mélange provocateur d’attributs sexués. Fasciné par le personnage, Cocteau lui consacre un ouvrage: «Le numéro Barbette», paru en 1926 dans la Nouvelle revue française, illustré des photographies de Man Ray et le fait tourner dans Le Sang d’un Poète (1930).
Pierre Molinier, "Le Chaman, Variante", c. 1965
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Maître de l’autoérotisme, Pierre Molinier est l’auteur d’une œuvre sulfureuse qui alla jusqu’à choquer André Breton. À partir des années 1950, il réalise des peintures mi-abstraites mi-figuratives qui évoquent des corps contorsionnés et des membres enlacés. Mais c’est surtout par ses mises en scène photographiques qu’il marque les esprits. Son procédé consiste à prendre des photographies de lui-même apprêté — épilé, maquillé, souvent masqué d’un loup et vêtu de quelques accessoires: guêpière ou corset, gants, bas et escarpins à talons aiguilles, parfois voilette ou résille —puis à découper les silhouettes ou des éléments de corps. Il les recompose ensuite dans une photographie finale du collage, image idéale de lui-même.
Hans Bellmer et Paul Eluard, "Les Jeux de la Poupée", 1949
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Objet fétiche placé au cœur d’une œuvre éminemment transgressive, la fameuse poupée de Hans Bellmer a ouvert la voie à une réflexion sur l’intégrité corporelle et l’identité sexuelle. De son temps, elle a œuvré comme une bombe, pulvérisant les catégories convenues: ni objet ni sculpture, elle se constitue en organe polymorphe et en instrument manipulable et transformable à l’infini. Au-delà de son appartenance au surréalisme (Paul Eluard lui consacre, en 1938, quatorze poèmes qui seront édités avec les photographies coloriées, dans Les Jeux de la Poupée, en 1949), l’étrange objet mêle à la fois nostalgie de l’enfance et imagination érotique influencée par la littérature sadienne.
Irène Zurkinden, "N'allez pas trop vite!", 1935
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Installée à Paris au début des années 1930, Irène Zurkinden fréquente les surréalistes par l’intermédiaire de Meret Oppenheim, son amie d’enfance. Elle reste néanmoins en marge du mouvement, préférant dépeindre son univers intime, à travers des portraits et des scènes de genre. Si ses dessins à la ligne heurtée explorent un inconscient érotique, elle réalise également des peintures énigmatiques qu’elle compose à la manière de rébus en laissant une grande partie de la toile en réserve.
Biographies
Marion Adnams
1898 – 1995 Derby (GB)
Initialement formée en tant que professeure de langues modernes, Marion Adnams réalise, lors d’un voyage travers l’Europe en 1920, une série de gravures sur bois qui recevront un accueil enthousiaste. Elle se réoriente alors dans des études artistiques à Derby et obtient son diplôme de professeure d’art en 1938 avant de devenir la directrice du département artistique au Derby Training College en 1946. Dès 1930, elle développe une peinture aux forts accents oniriques et surréalistes, et expose dans des galeries d’art local ainsi que des institutions prestigieuses comme le British Art Centre aux côtés d’Eileen Agar ou à la Modern Art Gallery aux côtés de Max Ernst. Surréaliste à Derby, ses peintures habitées de pierres, papillons, coquillages et d’autres objets aux accents biomorphiques trouvés dans la campagne anglaise qui composent ses peintures souvent teintées de préoccupations existentielles.
Rachel Baes
1912, Ixelles (BE) – 1983, Bruges (BE)
Rachel Baes naît dans une famille d’artistes qui l’encourage très jeune à se lancer dans une carrière artistique. Autodidacte, elle se consacre d’abord à la représentation de compositions florales, de portraits et d’intérieurs dans une veine expressionniste qu’elle nommera plus tard sa «période choux-fleurs». Dans les années 1930, elle noue une relation passionnelle avec le nationaliste flamand Joris van Severen. La disparition brutale de ce dernier en 1940 est à l’origine d’un changement radical dans sa peinture. La plupart de ses tableaux mettront dorénavant en scène des petites filles aux airs inquiétants, plongées dans un monde mystérieux. Cette peinture d’un genre nouveau la rapproche des surréalistes belges et français. A Paris, elle se lie avec Paul Eluard qui l’expose en 1946 et René Magritte emprunte ses traits pour peindre sa “Shéhérazade”. Cependant, en préférant la solitude de son univers fantasmagorique à l’onirisme sombre, Baes refuse un rattachement clair au groupe surréaliste.
Hans Bellmer
1902 Kattowitz (DE) – 1975, Paris (FR)
Peintre, graveur, dessinateur, photographe et sculpteur, Hans Bellmer se forme en 1923 en dessin technique à la Technische Hochschule de Berlin où il se lie d’amitié avec Georg Grosz et fréquente les dadaïstes berlinois. En 1933, il débute la confection de la première “Poupée” dont les mises en scène contorsionnées, révoltées et érotiques apparaitront dans un texte publié l’année suivante, Die Puppe (La poupée). La même année, dix-huit de ces clichés seront republiés dans le numéro 6 de la revue Minotaure, marquant son entrée dans le groupe surréaliste. S’en suit sa seconde poupée dont la “jointure à boule” et les mises en scène insistent sur son caractère sexuel et érotique. En 1938, il quitte définitivement l’Allemagne pour Paris, participant aux expositions internationales du surréalisme. Il est emprisonné en 1939 en tant que ressortissant allemand en France. En 1957, Il rencontre l’artiste Unica Zürn qui deviendra sa compagne.
Denise Bellon
1902 – 1999 Paris (FR)
Après de courtes études de psychologie, Denise Bellon découvre la photographie par l’entremise de Jean Boucher, professeur aux Beaux-Arts de Paris, avant de rejoindre le studio de René Zuber. Ils rejoignent l’agence Alliance Photo, fondée par Maria Eisner en 1934. Fascinée par le mouvement surréaliste, elle en documente plusieurs expositions de 1938, 1947, 1949 et 1965. Son œuvre colossale mélange ainsi portraits ou reportages documentaires qui placent toujours l’humain au centre de son œuvre, comme en témoigne ses photographies des artistes surréalistes aux côtés de leurs Mannequins. En 2001, le réalisateur Chris Marker et Yannick Bellon, fille de Denise Bellon, réalisent Le souvenir d’un avenir, un documentaire-hommage consacré à la photographe en photo-roman où ses images se succèdent et se surimpressionnent.
Victor Brauner
1903 Piatra Neamț (RO) – 1966, Paris (FR)
Né en Roumanie, Victor Brauner s’engage dans le cercle surréaliste de son pays d’origine, alors en pleine effervescence. Voyageant souvent à Paris, il y rencontre Yves Tanguy qui l’introduit dès 1933 aux réunions régulières que tiennent André Breton et le cercle surréaliste. En 1934, Breton organise sa première exposition parisienne et il s’établit définitivement en France quatre ans plus tard. La même année, il perd son œil en voulant s’interposer dans une rixe, un événement qu’il a étrangement anticipé par des portraits antérieurs. Une divination qui ouvre la voie d’un surréalisme plus saugrenu et illuminé. La découverte d’écrits sur le traitement de la schizophrénie aura sur lui un impact décisif, menant vers une œuvre composée de formes venant des arts premiers où la métamorphose prend un goût d’alchimie. Il est exclu du mouvement surréaliste en 1948. En 1966, Brauner apprend qu’il a été choisi pour représenter la France à la Biennale de Venise.
André Breton
1896 Tinchebray (FR) – 1966, Paris (FR)
Durant sa jeunesse, André Breton côtoie les symbolistes Paul Valéry, Guillaume Apollinaire puis Pierre Reverdy et s’enthousiasme pour l’anarchisme et le socialisme. Durant la guerre, sert en tant qu’interne de médecine interne et fait la découverte de la psychanalyse freudienne qui le marque profondément Il publie son premier recueil d’inspiration mallarméenne en 1919 et écrit, aux côtés de Philippe Soupault, Les Champs magnétiques. Publié l’année d’après, l’ouvrage annonce le surréalisme qui sera proclamé dans le premier Manifeste du surréalisme paru en 1924, suivi cinq ans plus tard du Second manifeste du surréalisme puis des Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme en 1943. Ce sont ses revues qui témoignent au plus fort de sa vision du monde surréaliste, comme La Révolution surréaliste, Le Surréalisme au service de la révolution ou VVV, qu’il co-fonde alors qu’il est en exil à New-York.
Claude Cahun
1894 Nantes (FR) – 1954, Saint-Hélier (FR)
De son vrai nom Lucy Schwob, Claude Cahun rencontre en 1909 Suzanne Malherbe, dit Marcel Moore, son “autre moi”. Cahun publie ses premiers textes sous son nom d’emprunt en 1914, dans la revue Mercure de France, avant de s’installer à Paris au début des années 1920 où elle rencontre André Breton qui ouvre la voie à une aventure artistique et littéraire couplée à un militantisme politique. L’androgynéité de son prénom choisi manifeste une indétermination revendiquée: “Ne rien fixer et déclarer le carnaval perpétuel”. Un jeu que l’on retrouve dans les tableaux photographiques de l’artiste, véritable œuvre collaborative entre Cahun et Moore qui fait coïncider la duplicité de la subjectivité et les dédoublements de genres et de rôles dans des portraits complexes. Un dédoublement qui résonnera dans la propre vie des artistes et leurs activités dans la résistance pendant la deuxième guerre mondiale.
Nicolas Calas
1907 Lausanne (CH) – 1988, New-York (US)
Né Nicolas Kalamaris, Nicolas Calas est issu d’une famille de commerçants grecs aisés et reçoit une éducation francophile lors de son enfance à Athènes. Il y étudie le droit avant de publier ses premiers textes de critique artistique et politique sous le nom de M. Spieros. Ses premières œuvres poétiques seront publiées en 1930 sous le nom de Nikitas Randos. Dès 1933, il se rend fréquemment à Paris où il côtoie la scène artistique et s’y installe définitivement en 1937 sous son nouveau nom. Son intérêt pour la cause communiste trouve un écho dans les velléités révolutionnaire du groupe surréaliste dont il devient un membre actif. Sa collection d’essais Foyers d’incendie, parue en 1938, dessine une conception de l’art en tant que processus révolutionnaire. Il quitte Paris au commencement de la seconde guerre mondiale pour s’établir New York où il continuera ses activités critiques et littéraires.
Leonora Carrington
1917 Clayton Green (UK) – 2011, Mexico (MX)
Née en Angleterre à la fin de sa “renaissance occulte”, Leonora Carrington étudie le dessin et la peinture à Londres et à Florence où elle découvre notamment les peintures médiévales fantastiques et les monstres de Jérôme Bosch. Elle fait la connaissance Max Ernst en 1937 et le suit à Paris où elle fait connaissance du cercle surréaliste. L’année suivante, elle participe à l’exposition surréaliste et publie son premier récit, La Maison de la peur. Elle fuit la France occupée de 1940 pour l’Espagne où elle succombe à une dépression nerveuse et sera incarcérée dans un sanatorium à Santander. Un événement traumatique sur lequel elle se base pour son récit En bas, publié en 1945. Elle gagne New-York en 1941 et y fréquente des surréalistes en exil avant de s’installer à Mexico en 1943 où elle côtoie notamment Remedios Varo. Sa découverte de la culture précolombienne contribuera largement au développement de son œuvre artistique.
René Clair
1898 Paris (FR) – 1981, Neuilly-sur-Seine (FR)
À la suite de la première guerre mondiale où il sert dans les ambulanciers, René Clair entame une carrière de journaliste à L’Intransigeant, sous le pseudonyme de René Desprès, puis se tourne vers le cinéma, où il fait ses débuts comme acteur, avant de devenir assistant de Jacques de Baroncelli, puis d’Henri Diamant-Berger. Son premier film sur lequel il commence à travailler en 1923, Paris qui dort, est suivi d’Entr’acte en 2914 puis nombreux autres œuvres importantes du cinéma des années 1930 comme Sous les toits de Paris de 1930 ou Fantôme à vendre de 1935. En 1946, Le silence est d’or maque son retour au cinéma français après l’Occupation où il préfère travailler à Hollywood que sous le contrôle des forces occupantes. Son œuvre littéraire accompagne sa production cinématographique, par des romans et nouvelles comme son recueil Jeux de hasard de 1976 ou plusieurs essais.
Ithell Colquhoun
1906 Shillong (IN) – 1988, Lamorna (UK)
Fille d’un fonctionnaire anglais dans l’Inde colonisée, Ithell Colquhoun y naît peu avant de rentrer en Angleterre avec sa famille. Elle étudie à la Slade School of Art où elle s’intéresse déjà à la littérature ésotérique et de sectes occultes. Elle découvre le surréalisme à Paris dès 1931 où elle s’installe dans un atelier voisin de celui de Paule Vézalay. En 1936, elle participe à l’exposition londonienne International Exhibition of Surrealism. Elle rejoint le mouvement surréaliste en 1939 avant de le quitter une année plus tard, refusant de renier ses intérêts occultistes bien que ses peintures qui tentent de capturer un espace mental sur la toile perpétuent des recherches surréalistes comme l’automatisme. Colquhoun s’installe à Cornouailles à la fin des années 1940, une terre propice à l’exploration de ses intérêts occultistes et métaphysiques qu’elle explore dans des écrits.
Salvador Dalí
1904 – 1989 Figueras (ES)
Figure reconnue du surréalisme, l’éducation de Salvador Dalí est marquée par deux événements majeurs: sa découverte des écrits de Sigmund Freud ainsi que son affiliation avec les surréalistes à Paris. Ses peintures faites de déformations et métamorphoses irrationnelles dans des représentations d’un réalisme minutieux signent son œuvre de manière paradigmatique, tout comme ses paysages assommés par le soleil, réminiscences de sa Catalogne natale. A la fin des années 1930, il se tourne vers une peinture plus académique, avant d’être exclu du groupe surréaliste, conséquence de l’ambiguïté de sa position vis-à-vis de la montée du fascisme. Il vit aux Etats-Unis de 1940 à 1955. Des thèmes religieux prennent une place importante dans son œuvre entre les années 1950 et 1970, se mélangeant à ceux de prédilection de l’artiste: sujets érotiques, souvenirs d’enfance ou thèmes centrés autour de sa femme et muse, Gala.
René Daumal
1908 Boulzicourt (FR) – 1944, Paris (FR)
Fils d’un instituteur, René Daumal semble très tôt porté sur un hermétisme qui le suivra toute sa vie. L’essentiel sera toujours ailleurs, caché dans l’obscurité. Une conviction qu’il partage avec des condisciples de son lycée : Roger Gilbert-Lecomte, Roger Meyrat et Roger Vailland. Ils seront ensemble les “phrères simplistes”, donnant par la suite le groupe du Grand Jeu. Ils se donnent déjà la quête de retrouver la connaissance intuitive de l’enfance et une recherche métaphysique d’un autre état de conscience et d’une perception altérée par des moyens artificiels comme les drogues. Il s’installe à Paris en 1925, où il développe sa connaissance d’une littérature mystique, théosophique et occulte. A partir des années 1927, Daumal, Gilbert-Lecomte et Vailland mettent en pratique les théories simplistes par la revue Le Grand Jeu dont 3 numéros paraîtront entre 1928 et 1930.
Lise Deharme
1898 Paris (FR) – 1980, Neuilly-sur-Seine (FR)
Lise Deharme rencontre le groupe surréaliste à Paris pendant les années 1920. Poète, romancière, salonnière mondaine et directrice de la revue Le Phare de Neuilly à partir de 1933, Deharme devient vite une égérie dans les cercles surréalistes. Elle collabore avec Claude Cahun lors de la parution du Cœur de Pic, en 1936, un ouvrage à quatre mains dont Paul Eluard dira dans la préface qu’il est un “livre d’images, [qui] a l’âge que vous voulez avoir”. En mettant l’image photographique au centre du récit, Le Coeur de Pic se présente comme un véritable “livre surréaliste”, similaires aux Nadja ou l’Amour fou d’André Breton, où les mises en scènes photographiques de Claude Cahun illustrent les poèmes de Lise Deharme.
Maya Deren
1917 Kyiv (UKR) – 1961, New-York (US)
Fille d’un psychanalyste russe d’origine juive, Maya Deren quitte l’URSS peu après sa naissance, termine sa scolarité en Suisse puis rejoint sa famille à New York où elle fait des études de journalisme et de littérature. Elle épouse en 1942 le cinéaste d’avant-garde Alexander Hammid (Alexander Hackenschmied) avec lequel elle se familiarise avec les œuvres expérimentales des années 1920. En 1943, le couple co-réalise Meshes of the Afternoon, un court métrage considéré comme le premier film de cinéma expérimental américain moderne, préfigurant le futur courant underground. Le film prolonge les recherches formelles des surréalistes tout en explorant comme ils ne l’avaient jamais fait les fantasmes et l’identité sexuelle féminine. Par ses films et ses écrits, elle s’attachera toute sa vie à différencier le cinéma de courants artistiques associés et à trouver une identité propre au cinéma expérimental.
Marcel Duchamp
1887 Blainville-Crevon (FR) – 1968, Neuilly-sur-Seine (FR)
Précurseur de l’art conceptuel et inventeur du ready-made, le premier objet surréaliste, Marcel Duchamp cultive tout au long de sa vie un détachement qui empêche toute affiliation à un courant artistique déterminé. Une personnalité furtive qui va fasciner André Breton, comme le montre l’étude du Grand Verre (Le phare de la mariée) publié dans le numéro 6 du Minotaure en 1935. Il devient rapidement le “scénographe” attitré du groupe surréaliste, conceptualisant par exemple l’exposition mémorable de 1938 où il orne le plafond de sacs de charbon qui obscurcissent l’espace. Ses jeux répétés avec l’abstraction et la quête érotique indiquent un glissement d’un art rétinien à une conception plus mentale. Les représentations abstraites et la qualité sensorielle vont alors de pair, sens et esprit s’accordent comme dans son œuvre Prière de toucher de 1947, le catalogue de l’exposition surréaliste à la galerie Maeght pour laquelle Duchamp imagine la salle centrale.
Suzanne Duchamp
1889 Blainville-Crevon (FR) – 1963, Neuilly-sur-Seine (FR)
Quatrième enfant d’une famille qui en comptera six dont quatre qui se consacrent à l’art, Suzanne Duchamp, petite sœur de Marcel, étudie à l’École des Beaux-arts de Rouen et expose pour la première fois en 1912. Elle rencontre le peintre Jean Crotti en 1916 avec lequel elle se marie trois ans plus tard, occasion pour son frère de lui faire parvenir des instructions pour un “cadeau ready-made » : Il lui demande d’attacher un livre de géométrie sur le balcon de son appartement. Le vent choisit lui-même les problèmes en effeuillant les pages. Elle en fait un tableau, le Ready-made malheureux de Marcel Duchamp. A l’entrée du salon d’Automne de 1921, le couple distribue un tract qui annonce la création de leur mouvement dada appelé “TABU”. A partir de 1927, sa production artistique se compose de peintures de paysages et d’œuvres florales sur papier qu’elle présentera lors d’expositions en France et aux Etats-Unis.
Marcel Duhamel
1900 Paris (FR) – 1977, Saint-Laurent-du-Var (FR)
Marcel Duhamel grandit en Picardie, une enfance marquée par la solitude. A quinze ans, il s’embarque clandestinement pour l’Angleterre où il devient Groom. Incorporé dans l’armée, il part à Istanbul où il rencontre Jacques Prévert et Yves Tanguy, le début d’une amitié et une affiliation surréaliste. A son retour en France, il devient gérant d’hôtel et organise une vie mondaine où se croisent Prévert, Louis Aragon, Tanguy, Benjamin Péret ou Robert Desnos. Le groupe crée la compagnie théâtrale Octobre et réalise des tournées à Moscou, en Italie et en Afrique du Nord. Il rencontre l’auteur britannique Peter Cheney avec lequel il signe un contrat en 1945 qui lance la Série noire. En trente-deux ans, plus de mille cinq-cents romans sont publiés, signés par les auteurs les plus importants de romans policier. Il continue en parallèle ses activités théâtrales et réalise des adaptations pour de nombreuses pièces.
Germaine Dulac
1882, Amiens (FR) – 1942, Paris (FR)
Pionnière du cinéma, Germaine Dulac est aussi une figure féministe majeure du début du XXème siècle. Elle se passionne dès sa jeunesse pour le journalisme et rédige des critiques de théâtre, interviewe des femmes célèbres et défend le droit de vote des femmes. Elle se marie en 1904 au romancier Albert Dulac. Son intérêt croissant pour le cinéma la pousse à créer sa propre compagnie de production en 1915, suivi de son premier film, Les Sœurs ennemies. Convaincue de la portée sociale du cinéma, elle cofonde le Club français du cinéma en 1922, suivi de la Fédération française des ciné-clubs en 1929. Son “cinéma intégral”, jouant de flous et de surimpressions ou d’autres procédés expressifs en font une figure du cinéma d’avant-garde. En 1927, La Coquille et le Clergyman déchaîne des tollés par ses connotations sexuelles et érotiques. Un film expérimental considéré comme le premier film surréaliste.
Nusch Éluard
1906, Mulhouse (FR) – 1946, Paris (FR)
Muse énigmatique qui inspire de nombreuses œuvres d’art des années 1930 et 1940, la posture plus silencieuse de Nush Éluard en fait une figure plutôt oubliée. Elle quitte sa région natale pour s’installer à Paris en 1928 où elle assite une hypnotiseuse afin de gagner sa vie. En 1930, René Char et Paul Éluard la remarquent dans les rues de Paris et l’initient au mouvement surréaliste. Elle épousera ce dernier quatre ans plus tard. Figure adulée du groupe, elle devient rapidement la muse de Pablo Picasso, Man Ray, René Magritte et Joan Miró. Parallèlement, son œuvre artistique se distingue par des collages et par sa participation à des œuvres collectives des surréalistes comme les cadavres exquis. Sa mort à quarante ans d’un accident vasculaire cérébral est un véritable coup de marteau à l’ensemble du groupe surréaliste.
Paul Éluard
1895, Saint-Denis (FR) – 1952, Charenton-le-Pont (FR)
À 17 ans, Eugène Paul Grindel rencontre une jeune fille russe qu’il surnomme Gala. Il choisit alors son pseudonyme Paul Éluard et l’épouse en 1916. Il rejoint le mouvement Dada après la guerre, puis participe à la création du surréalisme aux côtés de ses amis André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault. Séparé de Gala depuis quelques années, il épouse Maria Benz, surnommée Nusch, en 1934. Actif politiquement, il rejoint le Parti communiste en 1927 et entre dans la résistance. Son poème “Liberté” est notamment largué par les avions anglais sous la forme de tracts au-dessus de la France occupée et lui procure une notoriété mondiale, faisant d’Éluard la figure du poète de la liberté. Jusqu’en 1952, il publie plus de cent recueils d’une poésie souvent composée de vers courts, écrits avec des mots familiers qui mêlent amour et engagement politique, humaniste et révolutionnaire.
Max Ernst
1891, Brühl (DE) – 1976, Paris (FR)
Né à Brühl en 1891, Max Ernst étudie la philosophie avant de s’adonner à la peinture. Il fonde avec Theodor Baargeld et Hans Arp le groupe Dada à Cologne en 1918 – 1920 et met au point de nouvelles techniques de création comme le frottage ou la décalcomanie basées sur la révélation du support. En 1921, il rencontre André Breton et Paul Éluard à Paris et intègre dès lors le cercle surréaliste. Après avoir réalisé des reliefs-collages en 1919, il réalise ses premières sculptures en 1929, des pièces d’un jeu d’échecs à partir de plâtre. Arrêté puis incarcéré en 1939, il est libéré puis se réfugie aux Etats-Unis en 1941 où il développe sa pratique sculpture de manière plus épurée et dans des proportions plus monumentales. Ses sculptures représentent souvent des figures totémiques ou provenant de jeux d’échecs, comme le montre Moonmad de 1944.
Leonor Fini
1907, Buenos Aires (AR) – 1996, Paris (FR)
Bien qu’elle côtoie le groupe surréaliste à Paris et New-York où elle bénéficie de sa première exposition personnelle en 1937 à la galerie Julian Levy, Leonor Fini, née en Argentine mais imprégnée de la culture italienne de Trieste et Milan où elle grandit puis étudie, refusera toujours de faire partie du groupe. Elle les rencontre à Paris au début des années 1930, par l’entremise de Max Ernst, et découvre une inclinaison commune pour les métamorphoses, la psychanalyse et l’exploration du monde mental. Mais elle s’émancipe des dogmes établis par André Breton. Jusqu’à sa mort, elle vit et travaille à Paris, où elle est proche de nombreux surréalistes comme Leonora Carrington, Victor Brauner ou Max Ernst, mais aussi et surtout de figures du théâtre ou de la mode comme Elsa Schiaparelli. Elle réalise de nombreux décors pour des pièces comme le Roi Pêcheur de Julien Gracq en 1945 ou Les Bonnes de Jean Genêt en 1961.
Esteban Frances
1913, Portbou (ES) – 1976, Deià (ES)
En 1925, Esteban Frances part étudier l’art à Barcelone, où il rencontre Remedios Varo et par l’entremise de laquelle il fera la connaissance de Paul Éluard et Oscar Dominguez. La guerre civile espagnole dans les années 1930 le pousse à fuir pour Paris, où il intègre le groupe surréaliste et développe ses paysages sidéraux et formes biomorphiques. En 1940, il fuit l’Europe pour le Mexique où il est témoin d’une éruption volcanique dont les images de lave rouge brûlante qui se déforme et se recompose au gré de son écoulement le marquent de façon indélébile. Il s’installe ensuite définitivement à New-York, où il travaille alors comme concepteur de décors de théâtre et costumier, devenant un contributeur régulier au chorégraphe George Balanchine, figure de la danse contemporaine. Il continue en parallèle son œuvre picturale qui intègre progressivement plus d’éléments géométriques.
Wilhelm Freddie
1909 – 1995 Copenhague (DK)
Figure majeure des avant-gardes danoises, Wilhelm Freddie contribue à introduire le surréalisme en Scandinavie par sa peinture Liberté, égalité, fraternité présentée en 1930. Cinq ans plus tard, le mouvement débarque en force grâce à l’exposition Cubisme – Surréalisme à Copenhague, pour laquelle André Breton officie comme commissaire. La même année, Freddie commence la production de ses premiers objets. Ses œuvres provoquantes sont de nombreuses fois censurées et saisies par les douanes européennes, et son exposition Sex-Surreal de 1937 est censurée pour atteinte à la morale publique, ce qui vaut à l’artiste un séjour de dix jours en prison.
Alberto Giacometti
1901, Stampa (CH) – 1966 Coire (CH)
Arrivé à Paris pour étudier la sculpture en 1922 après avoir bénéficié de cours de peinture dans l’atelier de son père, Alberto Giacometti démontre dans ses œuvres précoces d’un intérêt pour la statuaire africaine qu’il découvre dans la capitale française. A la fin des années 1920, son œuvre se rapproche de préoccupations surréalistes autour de la psychanalyse freudienne. Il participe activement aux rencontres du groupe surréaliste entre 1931 et 1935, période durant laquelle il bénéficie de sa première exposition personnelle en 1932 à la galerie Pierre Colle. Deux ans plus tard, sa présentation à la galerie Julian Levy à New York lui offre une reconnaissance internationale qui sera suivie de son inclusion dans l’exposition majeure Fantastic Art, Dada, Surrealism en 1936 au MoMA qui acquiert certaines œuvres. Il est exclu du mouvement en 1935, ce qui marque son retour à une pratique plus figurative.
Jane Graverol
1905, Ixelles (BE) – 1984, Fontainebleau (FR)
En prenant activement part aux activités du cercle bruxellois du surréalisme dès la fin des années 1940, Jane Graverol se distingue comme un des rares femmes qui intègrent le mouvement dans la génération d’après-guerre. Elle fonde notamment Temps mêlés, une revue centrale du surréalisme belge au caractère révolutionnaire qui paraîtra sous sa première forme jusqu’en 1977 et organise à Verviers des expositions et des débats qui visent à contribuer à la révolution surréaliste. René Magritte y expose notamment en 1953. Elle fonde avec Marcel Mariën et Paul Nougé une autre revue importante, Les Lèvres nues, qui paraît jusqu’en 1975. Graverol rencontre André Breton en 1960, témoin de ses contacts réguliers avec la scène artistique parisienne. Inspirée par la mythologie et ses figures féminines, Graverol crée des œuvres comme L’école de la vanité, une représentation fantasmagorique typique de l’artiste.
Henriette Grindat
1923 – 1986 Lausanne (CH)
En 1944, Henriette Grindat entre à l’École de photographie de Lausanne. Elle fait son apprentissage à l’école suisse de Vevey avant d’exercer en tant que photographe indépendante dès 1949 pour de nombreux magazines et revues. Réalisées avec son Rolleiflex, ses photographies charpentées sont publiées dans la presse suisse. Influencée par le surréalisme qui la fascine, elle se livre à des expérimentations formelles diverses par des collages, solarisation, photogrammes à surimpression où nature et paysage se métamorphosent en des créatures étranges. Dans les années 1950, les associations libres laissent place à un style de reportage plus subjectif. Elle réalise alors de nombreuses éditions photographiques comme Postérité du soleil, préfacé par René Char et accompagné d’un texte d’Albert Camus. Elle collaborera de façon répétée avec les éditions Claire Fontaine et la Guilde du livre de Lausanne.
Jacques Hérold
1910, Piatra Neamț (RO) – 1987, Paris (FR)
Né Hérold Blumer, il étudie de 1927 à 1929 à l’école des Beaux-Arts de Bucarest. Son expérience directe de trois accidents mortels va le marquer à jamais, inscrivant sa peinture dans une expérience de l’écorchement. Il découvre le surréalisme par l’entremise de la revue d’avant-garde roumaine Unu dans laquelle il publie ses premiers dessins aux côtés de Victor Brauner. En 1929, il se rend à Paris avec une identité contrefaite qui lui procure son nouveau nom. Il intègre le groupe surréaliste cinq ans plus tard et contribue notamment aux jeux collectifs des Cadavres Exquis. Son art écorché prend alors une nouvelle tournure, tout en préfigurant les horreurs de la guerre. Lorsqu’elle éclate, il rejoint Breton et les surréalistes à Marseille qui attendent pour fuir aux États-Unis et contribue au Jeu de Marseille. Dans les années 1950, il s’engage dans une peinture rattachée à l’abstraction lyrique.
Artür Harfaux
1906, Cambrai (FR) – 1995, Paris (FR)
Photographe et dessinateur, Artür Harfaux rencontre Maurice Henry à Cambrai, qui le présente ensuite aux “phrères simplistes” René Daumal, Roger Vailland, Roger Gilbert-Lecomte. Il participera activement à l’aventure du Grand Jeu entre 1928 et 1930 et apparaît dans tous les sommaires de la revue éphémère avec des contributions portant sur ses recherches en photographie. Il s’installe à Paris en 1924 puis se détache progressivement du Grand Jeu avant de le quitter définitivement en 1932 pour rejoindre le groupe surréaliste. De 1939 à 1951, Harfaux et Henry s’associent sous le nom des “Gagmen associés” pour des expérimentations cinématographiques et participent à une vingtaine de films comme gagmans ou scénaristes. En 1992, il contribue notamment à l’exposition Joseph Sima tenue au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
Maurice Henry
1907 Cambrai (FR) – 1984, Milan (IT)
Membre actif du Grand Jeu, Maurice Henry est notamment reconnu pour sa propagation des idées surréaliste par voie de presse. Durant sa jeunesse, il lit La Révolution surréaliste et entreprend seul des essais d’écriture et de dessin automatique. Il rencontre alors Roger Vailland qui lui fait connaître Roger Gilbert-Lecomte et René Daumal, tous fascinés par le surréalisme. Ensemble, ils fondent le groupe du Grand Jeu. Son texte Le Discours du révolté ouvre le premier numéro dans une revue où il publiera en outre plusieurs dessins. Dès 1933, à la dissolution du Grand Jeu, il intègre le groupe surréaliste et prend part à ses expositions. Sa carrière de journaliste permet alors une couverture médiatique importante des activités du groupe surréaliste. Il sera aussi scénariste, gagman avec Artür Harfaux, metteur en scène et décorateur de théâtre, photographe, critique de cinéma et de jazz.
Georges Hugnet
1906, Paris (FR) – 1974, Saint-Martin-de-Ré (FR)
Bien en place dans la fameuse composition de l’Échiquier surréaliste de Man Ray en 1934 qui célèbre les cadres du mouvement surréaliste, Georges Hugnet n’est cependant plus reconnu comme une figure de proue du groupe. Premier historien du groupe dada, ses études paraissent dans les revues des Cahiers d’Art ou du Minotaure. Il est aussi l’auteur de nombreux collages, peintre, créateur de décalcomanies, mais avant tout poète. Grâce à l’entremise de Max Jacob, il publie son premier recueil en 1926, Quarante poésies de Stanislas Boutemer. En 1929, son court métrage La Perle dévoile un surréalisme non narratif. Il intègre le groupe en 1932 avant d’être exclu en 1939. En 1936, son ouvrage La Septième face du dé témoigne de ses talents poétiques et artistiques par vingt poèmes-découpages qui mêlent textes et imagerie provenant de sources populaires avec des écrits et images érotiques.
Valentine Hugo
1887, Boulogne-sur-Mer (FR) – 1968 Paris (FR)
Valentine Gross entre à l’École des beaux-arts de Paris en 1907 et participe pour la première fois au Salon des artistes français en 1909. Sa fascination pour le monde de la danse, notamment les ballets russes, et de la mode l’amène confectionner des costumes, déguisements, masques ou décors de théâtre. Elle a épousé Jean Hugo en 1919. En 1931, elle devient la maîtresse d’André Breton puis divorce l’année suivante. Son intimité au groupe surréaliste se perçoit notamment dans sa peinture Portrait des poètes surréalistes de 1932 – 1948. Durant les années 1930, elle crée ses premiers objets surréalistes et participe notamment à l’Exposition surréaliste de 1933 ou l’exposition Fantastic Art, Dada, Surrealism au Museum of Modern Art (MoMA) à New-York. Son style reconnaissable se remarque par des représentations oniriques qui flirtent avec une esthétique naïve sur des fonds sombres nourries de jeux de lumières.
Gladys Hynes
1888, Indore (IN) – 1958, Londres (UK)
Née en Inde avant de revenir à Londres avec sa famille, Gladys Hynes s’en va étudier la peinture en 1911 à Nwelyn dans une nouvelle école qui prône la peinture en plein air inspirée du naturalisme français. Hynes y puise les éléments de ses premières œuvres dans le paysage escarpé et traditionnel de Cornouailles. Durant la guerre, elle rejoint Londres afin de travailler pour les Omega Workshops mis en place par l’artiste et critique d’art Roger Fry dans la suite d’une intention de retour au monde pré-industrialisé qu’a popularisé le mouvement Arts and Craft à la fin du 19ème siècle. Son activisme lui fait prendre part à différentes causes, notamment celle des suffragettes ou en faveur du mouvement irlandais républicain. Son œuvre artistique, étroitement liée avec les événements clefs du 20ème siècle britannique, témoigne avec vigueur de son pacifisme invétéré.
René Magritte
1898, Lessines (BE) – 1967, Bruxelles (1967)
Les associations incongrues d’objets familiers et les modifications d’échelles, perspectives, trompes l’œil et associations métaphoriques imprégnées d’humour et de connotations érotiques des œuvres de René Magritte en font une figure populaire du surréalisme. Il étudie à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles durant la première guerre mondiale puis travaille comme graphiste dans une usine de papier peint. Au début des années 1920, il commence une fructueuse collaboration avec les surréalistes belges puis avec le groupe à Paris où il s’installe entre 1927 et 1930. Peintre versatile, il renoue avec l’impressionniste dans les années 1940 et sa “période vache”. Il bénéficie d’une rétrospective au MoMA de New-York en 1965. Son succès tardif se voit notamment perpétué par les artistes issus du pop art et de l’art conceptuel qui lui succèdent.
Marcel Mariën
1920, Anvers (BE) – 1993, Schaerbeek (BE)
Né dans une famille modeste d’un père wallon et d’une mère flamande, Marcel Mariën développe de façon précoce une détestation du conformisme. Il rencontre René Magritte en 1937 à Bruxelles ainsi que Paul Nougé et d’autres surréalistes belges, ce qui lui permet d’exposer la même année dans une exposition surréaliste à Londres son premier objet, L’introuvable, dont le titre a été trouvé par Magritte. Intime du surréalisme, il cultivera néanmoins toujours un certain détachement à son égard. En 1953, il rencontre Jane Graverol. Avec Paul Nougé, ils fondent ensemble la revue des Lèvres nues l’année suivante. Il rompt avec Magritte en 1954, et se présente comme le père fondateur de la théorie de l’emmerdement maximal, entretenant une production mineure et caustique vis-à-vis d’un surréalisme trop peu radical à son goût. En 1979, il publie l’ouvrage de référence sur l’histoire du surréalisme belge.
Henri Martinie
1881, Corrèze (FR) – 1963, Paris (FR)
Les photographies d’Henri Martinie sont des témoignages de la vivacité de la scène littéraire de Paris entre les années 1920 et 1940. Ses portraits d’écrivains français ou étrangers en visite recensent par exemple Philippe Soupault, Georges Bernanos, Jean Cocteau, James Joyce, Francis Fitzgerald ou Paul Éluard. Son studio photographique bénéfice d’autre part d’un emplacement réservé à l’Assemblée Nationale, ce qui lui permet de réaliser une série de très nombreux portraits de députés de la République. À sa mort, il laisse environ 15 000 négatifs.
Mayo
1905, Port-Saïd (EGY) – 1990 Seine-Port (FR)
Antoine Malliarakis, surnommé Mayo depuis l’enfance, nait descendant d’immigrés grec qui avaient trouvé refuge en Égypte. Il découvre le cubisme par les revues d’avant-garde que la Société du Canal de Suez fait venir depuis Paris. Il s’y installe en 1923 pour ses études où il rencontre notamment Man Ray, May Ernst, ou Yves Tanguy. En 1927, il participe à sa première réunion du groupe surréaliste. Il refuse néanmoins la manière autoritaire qu’à Breton de mener les discours et se rapproche, à la fin des années 20, au groupe du Grand Jeu avec qui il partage un intérêt pour les philosophies orientales. Il collabore au deuxième numéro de la revue en 1929. La même année, il participe à la première exposition du Grand Jeu qui se tient à la Galerie Bonaparte. La même année, il décore un nouveau cabaret à Berlin en hommage à Maldoror, ce qui provoque un incident avec Breton qui l’écarte définitivement du groupe surréaliste.
Pierre Molinier
1900, Agen (FR) – 1976, Bordeaux (FR)
Maitre de l’auto-érotisme, figure provocatrice et rebelle, Pierre Molinier heurte Bordeaux par la mise en scène de ses fétiches et opérations de dissection d’un genre fixe et défini. Il est néanmoins intégré à la scène artistique bordelaise et participe de façon régulière au Salon des Indépendants de Bordeaux dès 1928 et jusqu’à sa dernière participation en 1951 où son Grand combat fait scandale. En 1954, à la demande d’André Breton, Molinier participe au numéro 4 de la revue Le surréalisme, même, qui présente le résultat d’une enquête sur le striptease. Il y participe avec son autoportrait en “fille magique”. Pour ses photomontages, Molinier découpe au ciseau les épreuves de ses portraits et de ses autoportraits. Puis il recompose des corps selon les codes de son esthétique idéale avec des jambes, des bras et des têtes empruntées. Une fois le collage terminé, il le photographie puis le démonte pour de nouvelles compositions.
Max von Moos
1903 – 1979, Lucerne (CH)
Fils d’un couple d’artistes peintres, Max von Moos étudie à l’école d’art appliqués de Lucerne. En 1929, il visite l’exposition surréaliste au Kunsthaus de Zürich, où il fait la découverte décisive d’une peinture de Max Ernst. Ses premières œuvres surréalistes apparaissent deux ans plus tard, alors qu’il s’engage pour une résistance chrétienne contre la montée du national-socialisme. A la fin des années 1930, il réalise des œuvres à consonnance constructivistes, inspirés de Hans Erni. En 1942, un glaucome l’oblige à subir une opération des yeux, ce qui déclenche un fort intérêt pour l’anatomie. Il travaille notamment à un programme radio “400 ans d’anatomie : 1953-1943″ qui ne sera jamais diffusé. Il intègre le parti du travail en 1944 et est un membre fondateur du groupe local de la “Société suisse-Union soviétique”. En 1961, il bénéficie d’une rétrospective au Kunstmuseum de Lucerne.
Max Morise
1900, Versailles (FR) – 1973, Paris (FR)
Artiste et traducteur, Max Morise participe activement aux activités du groupe surréaliste parisien. Il tient par exemple la permanence du Bureau de recherches surréalistes initié par André Breton, participe aux créations collectives des Cadavres Exquis ou fait encore partie des séances de rêves éveillés qui ont lieu dans le salon de Breton et qui ont vocation à stimuler l’imaginaire tout en renouant avec les désirs et souvenirs inconscients. Dans le premier numéro de la revue La Révolution Surréaliste en 1924, Morise publie Les yeux enchantés qui questionne la pertinence d’un art pictural surréaliste pour un mouvement qui s’inscrit essentiellement dans la littérature. Dans les années 1930, il tient plusieurs petits rôles au cinéma.
Meret Oppenheim
1913, Berlin (DE) – 1985, Bâle (CH)
Après des études avortées, Meret Oppenheim se rend à Paris en 1932 avec sa compatriote la peintre Irène Zurkinden et se lie avec le groupe surréaliste avec lequel elle expose en 1933 au Salon des Surindépendants. Elle intègre le groupe où elle est surtout réduite à son rôle de muse, comme en atteste les photographies de nu et les portraits de Man Ray qui célèbrent sa beauté androgyne. En 1936, alors qu’elle gagne sa vie en dessinant des bijoux et des vêtements pour la haute couture, le MoMA de New York achète son Déjeuner en fourrure, en faisant un des objets les plus emblématiques du surréalisme. Elle obtient la même année sa première exposition individuelle à la galerie Schulthess à Bâle. Démunie, elle retourne à Bâle en 1937 et connaîtra un succès croissant. De grandes rétrospectives de sa pratique seront organisées dès 1967.
Benjamin Péret
Rezé (FR) – 1959, Paris (FR)
Fidèle compagnon de route d’André Breton, Benjamin Péret est dès l’origine un membre actif et central du groupe surréaliste. Il rencontre André Breton en 1919 et fait une entrée remarquée dans la constellation des poètes surréalistes avec la publication du Passager du Transatlantique en 1921. Avec Pierre Nabille, il réalise les trois premiers numéros de la revue La Révolution Surréaliste dès 1924. Il adhère au parti communiste en 1927 et rejoint le journal L’Humanité en tant que journaliste. En 1936, il part combattre en Espagne contre les forces de Franco et rencontre la peintre Remedios Varo qui devient sa compagne. Durant l’occupation, il participe à des revues littéraires clandestines puis fuit à Marseille où il rejoint les surréalistes en attente d’un visa. Il obtient le sien pour le Mexique qu’il rejoint en 1941 et où il continue ses activités surréalistes.
Gisèle Prassinos
1920, Constantinople (TUR) – 2015, Paris (FR)
Née dans une famille grecque forcée de quitter la Turquie, Gisèle Prassinos arrive à Paris en 1922. En 1934, son frère, Mario Prassinos, la présente aux surréalistes. Ses dons pour l’écriture automatique fascine le groupe, et les poèmes de l’enfant de quatorze ans seront publiés dans la revue du Minotaure et Documents 34. En 1935 certains de ces poèmes composent La Sauterelle arthritique, son premier livre. Elle interrompt alors ses études secondaires pour apprendre la sténodactylo et commence à travailler pour un fakir. Période durant laquelle elle réalise notamment Le Feu maniaque qui sera publié en 1936. Elle quitte le groupe surréaliste trois ans plus tard. En 1958, elle publie Le temps n’est rien, et l’année suivante La Voyageuse, deux ouvrages qui reçoivent un grand succès. Dès 1968, elle développe en marge de son activité littéraire ce qu’elle nomme son “artisanat”, un ensemble de personnages de bois, broderies ou tapisseries ou patchworks en tissu.
Mario Prassinos
1916, Constantinople (TUR) – 1985, Avignon (FR)
Chassés de Turquie par Atatürk comme les autres grecs du pays, Mario Prassinos et sa famille s’installent en France en 1922. Grâce à sa sœur Gisèle, dont il illustre les poèmes avec ses premières œuvres en 1934, Mario Prassinos se lie avec les surréalistes. Il développe un style proche d’une esthétique lyrique et expose pour la première fois en 1937 à l’Art cruel. Ses peintures d’alors, comme La Bataille de Fontenoy de 1937, empruntent à l’expressionisme, au cubisme et à un surréalisme précoce. Il s’engage volontairement dans la guerre d’où il revient blessé et décoré, ce qui lui permettra d’obtenir la nationalité française 9 années plus tard. Entre 1941 et les années 1960, il illustre des couvertures de livre pour le compte des éditions Gallimard. En 1949, il quitte Paris puis s’installe à Eygalières en 1951 et développe son œuvre en tapisseries, dessins, illustrations ou décors de théâtre.
Man Ray
1890 Philadelphie (US) – 1976, Paris (FR)
Pionnier avec Marcel Duchamp et Francis Picabia d’un art élargi et non-rétien, Emmanuel Rudnitsky dit Man Ray contribue largement aux débats artistiques du XXème siècle par son œuvres polymorphe composée de tableaux, objets, assemblages, photographies et films. Il grandit à New-York où il découvre l’œuvre de Marcel Duchamp à l’Armory Show de 1913. Ils formeront ensemble le pendant new-yorkais du groupe Dada. En 1921, Il rejoint Paris et le groupe surréaliste. Aidé par sa formation de dessinateur industriel, il expérimente des procédés photographiques comme la solarisation et perfectionne les photogrammes. Son œuvre se distingue par une transformation du sujet physique, comme avec sa célèbre photographie Le violon d’Ingres de 1924, ajoutant les ouïes sur le dos nu d’une femme pour la fondre dans l’image d’un violon, une fusion entre sujet et objet comme un accouplement avec l’image.
Hans Richter
1888, Berlin (DE) – 1976, Minusio (CH)
La rencontre avec Marinetti en 1913 à Berlin marque Hans Richter et cimente sa fascination des découvertes technologiques. Il s’installe à Zürich en 1916 où il rencontre le cinéaste suédois Viking Eggeling dont l’influence sera déterminante pour ses futurs travaux cinématographiques. Il adhère au mouvement Dada et développe une peinture quasi abstraite en 1918 en se focalisant de façon schématique sur la décomposition du mouvement. De retour à Berlin dans les années 1920, ses expérimentations cinématographiques débutent véritablement en 1925. Il se rend aux États-Unis lorsque la Seconde guerre mondiale éclate, et s’associe aux autres artistes européens en exil comme Marcel Duchamp ou Max Ernst. En 1941, son film Dreams that Money Can Buy (Rêves à vendre) ne sera jamais commercialisé mais exercera une influence certaine sur l’avant-garde new-yorkaise d’après-guerre.
Robert Rius
1914, Perpignan – 1944, Fontainebleau
Secrétaire d’André Breton à la fin des années 1930 et durant la Seconde guerre mondiale, Robert Rius publie précocement ses premiers essais littéraires. Après un court séjour à Toulouse, il s’installe à Paris progressivement entre 1932 et 1935 où il vit de petits métiers. La rencontre avec les surréalistes aux alentours de 1937 est déterminante. Co-fondateur avec Benjamin Péret, Breton et Remedios Varo du jeu surréaliste des Dessins Communiqués en 1937, il est au centre des expérimentations ludiques et créatrices du groupe. Durant la guerre, il refuse de quitter Paris et met en place une résistance littéraire par la publication de la revue clandestine surréaliste La main à plume qui publiera le poème Liberté de Paul Éluard et s’engage dans la résistance armée. Capturé par l’armée Nazie, il incarcéré à la prison de Fontainebleau où il est exécuté à l’âge de 30 ans.
Friedrich Schröder-Sonnenstern
1892, Kaukehmen (RU) – 1982, Berlin (DE)
Né en Russie près de la frontière allemande, Friedrich Schröder-Sonnenstern est deuxième d’une famille de treize enfants. Il ne reçoit presque aucune éducation et se voit placé dans une maison de correction dès ses 14 ans, puis se fait interner à la clinique de Sovetsk en 1918 après un vol d’un cheval pour lequel il est déclaré irresponsable. Après en être sorti, il s’installe à Berlin où il vivra sous le faux nom de Gustav Gnass. Condamné à plusieurs reprises, il sera interné dans un hôpital psychiatrique où il commencera à dessiner. Sa pratique artistique scandaleuse faite de créatures composites dans des scènes carnavalesques et postures souvent sexualisées trouve une reconnaissance à la fin des années 1940, notamment dans les cercles surréalistes. En 1959, il est invité par André Breton et Marcel Duchamp à participer à l’Exposition InteRnatiOnale du Surréalisme E.R.O.S à la galerie Daniel Cordier à Paris.
Sonja Sekula
1918, Lucerne (CH) – 1963, Zürich (CH)
Fille d’un père hongrois, Sonja Sekula part étudier l’art à Budapest et Florence. En 1936, sa famille déménage de Lucerne à New-York où elle côtoie dès le début des années 1940 certains des surréalistes réfugiés en Amérique mais aussi Jackson Pollock ou Robert Motherwell. Elle se lie d’amitié avec John Cage et Merce Cunningham pour qui elle dessine des costumes de danse. La décennie qui suit est sa plus fructueuse, où ses formes biomorphiques oscillant entre surréalisme et expressionisme abstrait rencontrent un succès croissant. Des voyages lui font découvrir les cultures autochtones d’Amérique du Nord qui informeront son travail. Elle expose pour la première fois à la galerie phrase de Peggy Guggenheim, Art of this Century, dans le cadre de l’exposition Exhibition by 31 Women en 1943. Cependant, l’instabilité mentale qui la poursuit depuis sa jeunesse s’accentue. Quelques semaines après son 45ème anniversaire, elle se suicide dans son atelier de Zürich.
Kurt Seligmann
1920, Bâle (CH) – 1962, Sugar Loaf (US)
Kurt Seligmann rejoint Paris en 1929 et participe dès 1934 aux réunions du groupe surréaliste avec qui il partage son goût pour l’occulte, le spirituel et le symbolisme magique. Il y poursuit sa carrière artistique après avoir suivi des cours d’art privés à Bâle et fréquenté l’École des Beaux-Arts de Genève. En 1932, Seligmann fait une percée artistique avec une exposition individuelle à la galerie Jeanne Bucher et une exposition de groupe avec Hans Arp, Serge Brignoni et Hans Rudolf Schiess à Bâle et à Berne. Il participe en 1938 à l’Exposition Internationale du Surréalisme. À New-York, où il s’est installé en 1939, il est un intermédiaire entre les surréalistes européens exilés et les artistes émergents de l’École de New York. En 1948, il publie notamment son Mirror of Magic, livre culte qui suit le développement de la magie et de l’occulte de l’Égypte antique jusqu’au 18ème siècle.
Joseph Sima
1891, Jaromer (CZ) – 1971, Paris (FR)
Peintre tchèque à Paris, Joseph Sima développe une peinture onirique et poétique qui flirte avec le symbolisme. Né en Bohême, fils d’un tailleur de pierres et professeur de dessin, il est prédestiné à une carrière artistique. Il étudie les beaux-arts à Prague avant d’arriver à Paris en 1921. Il est naturalisé cinq ans plus tard et rencontre les principaux surréalistes, notamment André Breton et Paul Éluard. Son portrait de Roger Gilbert-Lecomte de 1929 témoigne de son implication dans le groupe du Grand Jeu, fondé en 1928, une année après sa rencontre des “phrères simplistes” Roger Gilbert-Lecomte, René Daumal, Roger Vaillant et Robert Meyrat. Ces derniers retrouvent dans ses œuvres plusieurs points essentiels liés à leur démarche poétique et littéraire et l’intègrent dans leur groupe. En 1929, pour leur première exposition Révolutions et révélations, Joseph Sima peint le portrait de ses camarades.
Yves Tanguy
1900, Paris (FR) – 1955, Woodbury (US)
Peintre de l’attente et du silence, Yves Tanguy découvre le surréalisme au début de années 1920 par la revue La Révolution surréaliste. Marqué par une toile de Giorgio de Chirico, ses premières œuvres de 1925 montrent des paysages qui mêlent une esthétique expressionniste et naïve à des éléments fantaisistes. Il rencontre les surréalistes et participe à leurs expositions où il développe des dessins automatiques, collages, et participe aux jeux collectifs des Cadavres Exquis. Il se lasse de ces expériences pour revenir à une pratique essentiellement picturale et bénéfice de sa première exposition personnelle en 1927 où il se distingue déjà par ses paysages minéraux habités de formes cellulaires. En 1938, il découvre au Salon des Surindépendants les œuvres de Kay Sage. Il la rejoint aux Etats-Unis l’année suivante, et ils se marient en 1940. Il deviendra citoyen américain sept ans plus tard.
Dorothea Tanning
1910, Galesburg (US) – 2012, New York (US)
Peintre et muse des surréalistes, Dorothea Tanning est une figure centrale du pendant états-unien du mouvement qu’elle marque notamment du couple légendaire qu’elle forme avec Max Ernst. Formée à Chicago, elle s’est installée à New-York en 1936 où elle fréquentera quelques années plus tard le groupe des surréalistes en exil. Elle présente ses œuvres notamment à l’importante exposition Exhibition by 31 Women, organisée en 1943 par Peggy Guggenheim, puis à la galerie de Julien Levy. Ses œuvres de l’après-guerre explorent les traumas, angoisses et peurs de l’enfance et les fantasmes sexuels d’une subjectivité féminine où les contorsions du désir subjuguent des créatures animales ou humaines, comme c’est le cas dans My Life in the Blue Room de 1943. Ces visions hallucinatoires apparaissent souvent sous l’image de tournesols hypertrophiés dans une froideur onirique envoutante comme avec The Mirror de 1950.
Raoul Ubac
1910, Cologne (DE) – 1985, Dieudonné (FR)
Issu d’une famille bourgeoise d’origine allemande et belge, Raoul Ubac grandit dans les Ardennes belges où il cultive son goût pour la solitude et la marche et initie une pratique de la photographie. Il s’intéresse au surréalisme avec lequel il partage une volonté émancipatrice de forces obscures. Il participe alors aux activités du groupe et publie ses premiers travaux dans la revue du Minotaure, notamment ses expérimentations photographiques de solarisation, superposition ou encore altération du négatif où les sujets se dissolvent dans l’image. Il prend ses distances vis-à-vis du mouvement pendant la guerre, puis l’abandonne définitivement en 1946 en mettant aussi un terme à sa pratique photographique. Il se mettra alors à une pratique picturale et réalisera des peintures, gouaches, gravures mais aussi mosaïques et bas-reliefs ou tapisseries, et bénéficiera d’une rétrospective en 1968 au Musée national d’art moderne de Paris.
Remedios Varo
1908, Anglés (ES) – 1963, Mexico (MX)
Née en Gérone, Remedios Varo s’installe à Madrid où elle étudie à l’Académie des Beaux-Arts de San Fernando. Elle déménage à Barcelone en 1932 où elle entre en contact avec l’avant-garde catalane et rejoint le groupe des Logicophobistes qui visent l’union de l’art avec la métaphysique. Elle rencontre Benjamin Péret en 1936 et le suit à Paris l’année suivante où elle fait connaissance du groupe surréaliste et participe à ses expositions. Elle fuit Paris en 1940 et se réfugie temporairement à la Villa Air Bel à Marseille en compagnie d’autres surréalistes. En 1941, Varo et Péret s’installent au Mexique où elle peint, restaure des artefacts précolombiens, crée des costumes ou conçoit des campagnes de publicité. Elle y bénéficiera de sa première exposition personnelle en 1955 où sa peinture minutieuse similaire à celle de Jérôme Bosch qu’elle avait découvert au Prado rencontre un grand succès.
Marie Vassilieff
1884, Smolensk (RU) – 1957, Nogent-sur-Marne (FR)
Née dans une famille de propriétaires terriens, Marie Vassilieff est admise à la prestigieuse Académie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg en 1903. Titulaire d’une bourse d’étude, elle part ensuite pour Paris en 1905. Elle y développe une première peinture d’inspiration cubiste dans les années 1910 et commence à confectionner ses premières “Poupées-portraits” inspirées de la tradition populaire Russe et des arts premiers, alors en vogue. Son œuvre des Poupées de 1938 témoigne de cette double inspiration et met au centre de la peinture le thème de l’enfance, sujet qu’elle affectionne particulièrement. Elle devient alors une figure importante de la scène de l’avant-garde Montmartroise des années 1910. À la veille de la Seconde guerre, elle quitte Paris et s’installe dans le Sud de la France. La peinture colorée de cette époque rappelle alors sa Russie natale avec des fleurs et des icônes religieuses.
Irène Zurkinden
1909 – 1987 Bâle (CH)
Grâce à une bourse d’études reçue lors de sa formation à Bâle le en tant que dessinatrice de mode, Irène Zurkinden part à Paris en 1929. Elle y côtoie sa compatriote Meret Oppenheim ainsi que d’autres artistes du groupe surréaliste. D’inspiration impressionniste, ses œuvres sont composées de personnages ou de paysages urbains ou intimes. Elle réalise des portraits de ses proches, où des coups de pinceau rapides témoignent d’une fugacité virtuose et indiquent un intérêt à la mise en scène par le costume ou l’ornementation cosmétique. Elle rentre à Bâle en 1941 et expose pour la première fois l’année suivante. Au cours des années 1930, ses voyages informent une peinture qui s’intéresse de façon croissante au paysage, et s’accompagnent de nombreuses expositions individuelles et collectives, notamment à Bâle où elle bénéficie d’une grande exposition en 1985 au Kunstmuseum.
Unica Zürn
1916, Berlin (DE) – 1970 Paris (FR)
Entre écriture et dessin à l’encre de Chine, l’œuvre d’Unica Zürn détone par sa singularité et son aspect intermédia où le langage verbal s’entremêle à celui pictural. Elle s’installe à Paris avec Hans Bellmer qu’elle a rencontré à Berlin en 1953 et qui la présente au groupe surréaliste, notamment André Breton, Meret Oppenheim, Max Ernst et Marcel Duchamp. Elle commence ses premiers Anagrammes qui inaugurent sa recherche artistique faite d’exploration de divers états d’être d’une subjectivité toujours polymorphe. Une conception informée des crises successives de Zürn et ses nombreux séjours en institution psychiatrique. Son Der Mann im Jasmin (L’homme jasmin), écrit en institution entre 1963 et 1965, témoigne de la place de la maladie mentale et la schizophrénie dans son œuvre. En 1959, elle participe à l’Exposition surréaliste internationale à la galerie Daniel Cordier à Paris. Elle se suicide en 1970.
2ème étage
Introduction
Inventant des formes nouvelles pour témoigner d’un monde en profonde mutation, les artistes rassemblé.e.s ici, bien que ne faisant pas explicitement référence au surréalisme historique, en sont néanmoins les petit.e.s-enfant.e.s indiscipliné.e.s et courageux.se.s. À travers la diversité de leur démarche, iels réaffirment à la fois leur défiance vis-à-vis de la langue et leur foi dans la toute-puissance du conte, en sa portée poétique et politique; iels expriment leur fascination pour la frontière entre le visible et l’invisible; iels célèbrent l’omniprésence de l’érotisme. L’exposition a été conçue comme un grand paysage où coexistent des propositions qui revitalisent la pratique du cadavre exquis dans un exercice de réconciliation entre le réel et l’imaginaire.
Tristan Bartolini
(*1997, vit et travaille à Genève)
Jouant sur les codes de l’occultisme et de la science-fiction, l’installation Channeling Ancestors (2022–2024), conçue à la fois comme un espace rituel et une scène de space opera, cherche à évoquer la réminiscence d’une existence antérieure. Vestiges d’une civilisation disparue, des artefacts aux dimensions monumentales sont animés par des projections montrant des entités extraterrestres qui s’expriment dans leur propre langue et racontent l’histoire de leur société. Puisant son inspiration dans la vie et l’œuvre de la médium genevoise Elise Müller, Tristan Bartolini façonne un alter ego à partir de son propre corps à travers lequel il convoque une généalogie queer dans une approche rétro-futuriste.
Gorge Bataille
(*1985, vit et travaille à Paris)
Gorge Bataille aime pirater la littérature pour en déjouer l’autorité. Sa poésie naît du choc et du mélange savant de différents types de langage. Elle développe avec Fatal*e (2024) un texte qui interroge la perte de sens et la recherche de la beauté. Renouant avec les avant-gardes littéraires, elle compose un objet étrange, sans début ni fin, à la manière d’une partition dont les différentes séquences seraient reproductibles à l’infini. En collaboration avec la graphiste Roxanne Maillet, elle transcrit à grande échelle une poésie imagée à la langue adolescente et rebelle, qui, lorsqu’elle vient à manquer, se peuple d’émojis. Une déferlante typographique indisciplinée et post-binaire. Fatal*e s’inscrit dans la continuité du travail de recherche que mène l’auteure sur la Langue Bâtarde.
Matthias Garcia
(*1994, vit et travaille à Paris)
La toute-puissance du conte et l’altération du récit sous les effets de l’imagination sont au cœur du travail de Matthias Garcia. C’est à travers la figure de la sirène qu’il reformule continuellement le sens de ses peintures. Si celle du conte cruel d’Hans Christian Andersen, apprenant que l’âme des humains est éternelle, rejette sa nature hybride, la sirène de Garcia est en quête d’une acceptation de sa différence. Au fur et à mesure que remontent du décor les personnages et les motifs, apparaît un paysage intérieur habité de créatures fantastiques et d’enfants-fleurs au symbolisme intime. Une histoire à la morale bien différente se dessine alors, comme une réconciliation possible entre le rêve et la réalité.
Maëlle Gross
(*1988, vit et travaille à Lausanne)
Intéressée par l’histoire de la sorcellerie et ses liens avec le féminisme, Maëlle Gross reconsidère la figure d’Elise Müller que les surréalistes avaient associée à une clairvoyante délirante pour en faire une source d’inspiration. À la fin du XIXème siècle, cette médium genevoise connue sous le nom d’Hélène Smith connaît des transes somnambuliques pendant lesquelles elle reçoit des visions. Elle recueille notamment des textes en langue martienne qu’elle transcrit en français, développant ainsi une forme d’écriture automatique. Dans son installation, l’artiste s’approprie cet alphabet martien pour inventer une poésie nouvelle et rejoue les épisodes d’apparition en donnant à la «vilaine bête d’Astané» la forme d’un robot low-tech débarqué d’une contrée imaginaire.
Anne Le Troter
(*1985, vit et travaille à Paris)
Dans son travail, Anne Le Troter explore la plasticité du langage et la façon dont il est contaminé par les injonctions capitalistes de rendement. Prenant sa source dans une série de rêves troublants, La Pornoplante (2021–2024) est le récit d’une transmutation de l’homme vers le végétal à travers le compte-rendu érotique et truculent d’une érection qui, suivant le cycle de la nature, grandit au soleil et tombe à l’automne. Le texte est inspiré des techniques de l’ASMR (Réponse autonome du méridien sensoriel), une technique de relaxation en vogue depuis une dizaine d’années.
Charlie Malgat
(*1990, vit et travaille à Paris)
Charlie Malgat nous invite à déambuler dans son installation Double Paysage (2024), forêt abstraite et molle d’arbres calcinés dans laquelle poussent d’étranges orifices rosés. Recouverts d’une enveloppe en latex, matériau fétiche de l’artiste à la dimension charnelle et sensuelle, ces corps inertes appellent à la caresse. L’artiste explore les territoires troubles à la lisière du dedans et du dehors, les peaux qui révèlent en leur surface ce qui s’est patiemment construit et assemblé à l’intérieur. Avec sa nouvelle vidéo, elle introduit un personnage cartoonesque à la fois dégoulinant et attachant, sorte d’alter ego ubuesque de l’artiste en état de décomposition.
Lou Masduraud
(*1990, vit et travaille à Genève)
Dans ses installations, Lou Masduraud s’intéresse aux réseaux et aux systèmes d’alimentation qui assurent l’infrastructure nécessaire aux activités humaines, éclairage public, égouts, souterrains. Pour Spit Kiss from Earth (2022), elle s’est inspirée de la fontaine conçue par Meret Oppenheim pour la Waisenhausplatz à Berne sur laquelle s’épanouit un biotope en perpétuelle évolution. A cette transformation organique s’ajoute la dimension érotique de la bouche d’où sort le jet d’eau. La présence d’orifices, que l’on retrouve dans les parois qui encerclent la fontaine, est récurrente dans le travail de l’artiste. Interface entre le visible et le caché, le corps social et l’intime, le trou est une métonymie qui dépasse la simple mécanique du désir, c’est aussi la possibilité d’une échappée, une invitation à explorer l’inconnu.
Jakob Rowlinson
(*1990, vit et travaille à Londres)
L’univers artistique de Jakob Rowlinson combine le monde naturel et le symbolisme médiéval pour mieux questionner les représentations du désir et de la masculinité à travers le temps. Ses masques fabriqués à partir de matériaux trouvés reprennent des éléments iconographiques du jeu de Tarot mais évoquent également les masques utilisés lors du carnaval ou dans des jeux sexuels. Les visages de cuir sont creux, mais leurs perforations leur confèrent une puissante dimension fétichiste. En utilisant une technique complexe de collage et d’assemblage, il se sert de motifs tirés des arts décoratifs et des manuscrits médiévaux, comme les feuilles de vigne et les fougères, pour orner cet étrange bestiaire.